Parmi toutes les injonctions qu’on nous serine à longueur de journée, certaines relèvent d’un moule social dans lequel je me fiche éperdument de ne pas rentrer: je n’ai pas d’enfants, je ne suis pas douce et conciliante, je ne fais pas un 38, je ne me maquille pas, je ne m’épile pas sous les bras et j’emmerde bien fort toutes les idées préconçues sur la féminité. Mais même en me limitant aux valeurs avec lesquelles je suis en accord – en gros, une consommation responsable et l’égalité des droits pour tous, -, je n’arrive pas à être irréprochable 100% du temps.
Parfois, je craque pour une entrecôte saignante ou une fringue H&M – pas souvent, mais quand même. Parfois, quand je suis stressée, j’ai encore le réflexe de m’acheter une bougie parfumée ou autre brol dont je n’ai aucun besoin. Parfois, quand il pleut et qu’il fait froid, j’ai la flemme de rentrer le soir en bus et je demande à Chouchou s’il n’y aurait pas une Zip Car dans les parages. Parfois, j’ai trop envie d’aller à Pairi Daiza m’extasier devant tous ces animaux qui seraient pourtant bien mieux dans leur milieu naturel. Parfois, l’actualité me déprime tellement que je préfère l’ignorer, parce que je suis une sale privilégiée qui peut se le permettre.
Jamais je n’ai réussi à vaincre ma peur de la foule pour aller manifester contre quoi que ce soit, et je suis trop peu diplomate pour éduquer les esprits hermétiques à la nécessité de la représentation ou aux subtilités du consentement. Je désapprouve le piratage d’e-books (on vole les auteurs!), mais le téléchargement illégal de séries ou de films ne me pose guère de problème. Et si je trouve admirables les gens qui pratiquent le zéro déchet et fabriquent eux-mêmes leurs produits nettoyants, c’est une contrainte supplémentaire que je n’ai nulle envie de m’imposer.
Comme la plupart d’entre nous, je suis pétrie de bonnes intentions et de valeurs louables, mais faillible. Les journées n’ont que 24h et la fatigue décisionnelle finit par avoir raison même des meilleures volontés. Nous sommes tous reprochables sur un point ou sur un autre, à un moment ou à un autre. Bizarrement, ça n’a jamais empêché personne (moi la belle première) de faire la leçon à son voisin sur les réseaux sociaux.
Nous sommes humains. On fait ce qu'on peut. Il faut vivre. De nombreuses personnes ne réfléchissent même pas à tout ça (suffit de se planter rue neuve) et consomment inconsciemment tout ce qu'on leur propose. Toi, moi, nous le faisons pas mais nous avons nos limites. C'est tout.
Finalement c'est peut-être sur ça qu'on devrait tendre vers l'irréprochable : se reconnaître faillible, l'accepter tant bien que mal (culpabiliteeyyy) et encourager les petits et grands efforts des autres, plutôt que leur faire la leçon… Allez, je m'y mets, merci pour cet article!
Ce qui m’agace, ce sont les personnes qui attendent que tu sois irréprochable parce que tu as des convictions et cherchent les failles : « haha, tu te dis féministe et tu aimes [tel truc de fille stéréotypé] ». Ça dénote une vision très « religieuse » de l’engagement dans notre société. Il faut avoir l’ambition d’être un-e saint-e de sa cause, mériter sa gommette. A ce prix là, c’est sûr que personne ne va commencer à changer le monde.