Pendant les débats houleux autour de l’abstentionnisme du second tour, lors des récentes élections présidentielles françaises, il est une chose qui m’a beaucoup marquée: les abstentionnistes qui se plaignaient que, au lieu de les attaquer sur leur choix, les gens comme moi ne fassent pas preuve d’un peu plus de bienveillance et de compréhension envers eux. Ce à quoi ma réponse était toujours que ma bienveillance et ma compréhension, je les réservais aux minorités qui seraient les premières victimes d’un régime fasciste en cas de victoire de Marine Le Pen. On peut penser que j’ai raison ou tort de fustiger les abstentionnistes; la question a déjà été amplement traitée ici ou ailleurs et ce n’est pas le sujet de ce billet. Je ne reparle de ces incidents que parce qu’ils ont déclenché chez moi une réflexion assez intense.
Ca fait des années que, après avoir eu le culte de l’intelligence pendant toute ma jeunesse, j’ai décidé que la bienveillance était la plus belle et la plus désirable des qualités humaines. Les gourous de la pensée positive et de la pleine conscience, deux courants auxquels je m’intéresse beaucoup et qui m’ont énormément fait progresser à titre personnel, prônent d’ailleurs une bienveillance tous azimuts, envers soi-même comme envers autrui. Parce que ça rend la vie plus douce; parce que ça évite de s’énerver pour des bêtises voire de s’énerver tout court; parce que souvent les autres sont un miroir qui vous renvoie ce que vous projetez vers eux; parce que c’est un bon moyen de créer un cercle vertueux. Sur le papier, ça fait parfaitement sens pour moi.
Dans la pratique, par contre, je n’y suis jamais arrivée. Mais si vous me suivez depuis un certain temps, vous savez que je suis adepte du travail sur soi et de l’auto-amélioration constante. Je pourrais donc ajouter la bienveillance universelle à la liste des qualités que je m’efforce de cultiver, mais… Ces élections m’ont fait prendre conscience que je n’en avais pas envie. Que j’étais bien trop dans le jugement et que je n’avais absolument pas assez d’empathie pour faire des efforts vis-à-vis de personnes dont j’estime, pour une raison quelconque, qu’elles ne méritent pas que je gaspille mon énergie positive avec elles.
Je suis plutôt bien disposée vis-à-vis de mon prochain – un peu plus quand je suis de bon poil, un peu moins dans le cas contraire, mais globalement, je fais partie des gens qui aiment rendre service et embellir le quotidien des autres dans la mesure du possible. Je complimente des inconnues sur leur beau manteau ou leurs cheveux magnifiques à l’arrêt de bus; j’aide les mamans encombrées à descendre leur poussette dans les escaliers du métro; je dis « C’est pas grave, ça peut arriver à tout le monde » quand quelqu’un fait une erreur de bonne foi. Je n’engueule pas les contrôleurs quand mon train est encore en retard; je ne soupire pas bruyamment quand un bébé pleure dans l’avion; je soutiens les grévistes même s’ils contrarient mes projets. Bref, le mode « hyène » n’est pas mon réglage par défaut. J’aime quand tout le monde fait preuve de bonne volonté, s’entraide et oeuvre à chercher des solutions acceptables pour l’ensemble des personnes concernées.
Par contre, si je me heurte à de la mauvaise foi ou de la mauvaise volonté, je démarre au quart de tour. J’entends bien que les gens ont toujours leurs raisons d’être désagréables, de nourrir des préjugés ou d’avoir des réactions que j’estime pourries, mais… ce n’est pas mon problème. J’aimerais pouvoir me montrer naturellement patiente et compréhensive avec eux. Si ce sont mes amis, je fais un effort au nom de toutes les qualités que je leur trouve par ailleurs. Si ce sont des inconnus, tant pis. La vendeuse qui me prend ouvertement pour une truite, le fonctionnaire qui se fiche éperdument de mon dossier, le mec qui me balance une grosse vanne sexiste en se trouvant très drôle, les voisins répétitivement indélicats, la vieille dame qui me parle de la fiancée noire de son neveu en la traitant de « sac de charbon » (oui, c’est du vécu), je me fous de leur boulot pas folichon, de leurs insécurités personnelles ou de l’éducation qu’ils ont reçue. Je ne vais pas gaspiller ma bienveillance avec eux. En revanche, j’ai toujours un stock fourni de réparties acerbes sur le bout de la langue; il suffit de demander.
Je n’ai jamais compris qu’on glorifie la notion d’amour inconditionnel. Pour moi, l’amour (ou l’amitié) doit se mériter un minimum. Pas forcément tous les jours et dans chaque chose – au sein d’une relation de longue durée les erreurs, les compromis ou les passages à vide me paraissent tout à fait normaux. Mais être toujours celle qui fait les efforts, celle qui mord sur sa chique pour faire fonctionner le biniou, franchement ça ne me tente pas. Et c’est pareil pour la bienveillance. J’admire les gens assez zen pour en faire preuve en toutes circonstances. Mais je ne serai jamais membre de leur club, et très honnêtement, je n’y aspire même pas. Je sais ce que je suis capable de donner. La bienveillance inconditionnelle n’en fait pas partie.
Comme je te comprends. Comme toi, je suis moi aussi adepte de l'amélioration de soi et la bienveillance est une notion qui me parle et en quoi j'ai foi. Inutile toutefois de compter sur moi de façon inconditionnelle, je donne mais j'estime que je suis aussi en droit d'attendre quelque chose soit en retour soit en condition. Ceux qui ne me semblent pas mériter que je gaspille une seule seconde de mon temps n'auront rien de moi, tout simplement.
Mais du coup, en faisant preuve d'une bienveillance conditionnelle envers les autres, tu fais preuve de bienveillance envers toi-même : tu restes à l'écoute de ton ressenti et tu ne te forces pas.
Je pense que la bienveillance est toujours conditionnelle, au fond, même dans une relation entre parent et enfant (donnée comme l'exemple-type de bienveillance inconditionnelle). Moi aussi, je tente de me comporter avec respect et bienveillance, sans y arriver toujours ; si on veut une société juste et empathique, pas d'autre solution que de commencer à l'être soi-même.
Quant aux abstentionnistes, ceux que j'ai lu étaient d'une grande agressivité. Alors, les considérer avec bienveillance…
Tu as une liste de remarques acerbes à partager pour les sexistes, racistes, cons? J'ai beau faire, parfois suite à certaines remarques je suis bouche bé et cela m'énerve. Mais je m'énerve contre moi-même et pas les cons… c'est con
Je trouve que ton titre, qui nuance la bienveillance, est très juste.
D'expérience, dans mon métier, je sais que certaines situations appellent de la bienveillance, et d'autres, de la sévérité et des limites, sans être la bonne poire de service. Car c'est ainsi que, dans certaines situations, on est perçu(e-s) si on pratique la bienveillance. Par exemple, ça faisait six mois que je demandais à mon chef de faire preuve de sévérité, d'appliquer des sanctions et d'agir avec autorité envers une personne qui prenait sa bienveillance pour du laxisme. Ce à quoi il a répondu "non Madame *******, la bienveillance, toujours la bienveillance, il ne faut jamais s'en départir." Quinze jours après, la situation lui pétait à la gueule. Depuis, il essaie de faire preuve de sévérité, mais c'est un peu tard (la preuve que ça marche : avec moi, qui ai vite laissé tomber la bienveillance -trois jours- envers cette même personne qui profitait du laxisme du chef, et qui ai adopté la sévérité, tout se passe bien et ça roule).
Il y a cinq ans, avec un autre supérieur, même topo : je demande une sanction exemplaire, le chef refuse. Exactement une semaine après, il s'est pris une baffe et un crachat de ceux avec qui il voulait faire preuve de "compréhension et bienveillance".
Mon chat m'a appris une chose : soit bienveillant, mais fais gaffe : celui qui ronronne et que tu caresses peut vite te griffer et te mordre. Donc la bienveillance oui, le laxisme et être bonne poire, non.
Je suis comme toi, je veux bien être gentille mais faut voir à pas trop se payer ma tête…
Y en a qui ne mérit ent pas, c'est tout.
Je prône la tolérence, le respect, la liberté de chacun. Mais la connerie gratuite, ça non.
sois* bienveillant, mais fais gaffe
désolée, je fais plein de fautes sur l'ordi en ce moment, mon chat a justement pris la sale manie de s'asseoir devant l'écran (qu'il masque alors de toute sa masse), je m’interromps pour le virer (pour réussir à lire l'écran -je refuse d'être bienveillante et d'attendre que le poilu ait fini de vouloir monopoliser mon attention), et il revient, et je le vire de nouveau, donc je tape en mode multi-haché : du coup, quand j'arrive ENFIN à la fin de ce que je veux écrire, je l'envoie sans prendre le temps de me relire, de peur que le matou se replante devant l'écran et m'empêche de voir la touche "envoyer le commentaire"…
Je ne me demande pas si une personne mérite ou non ma bienveillance mais si elle en a besoin. C'est plus ou moins ça la ligne de conduite. Du coup, les absententionistes n'en ayant pas besoin selon moi, de bienveillance, je ne me pose pas la question de si j'arrive à dépasser mes limites ou pas et dans quelles circonstances 😉 (tout au plus, ils ont besoin d'une acceptation sociale. Mais face à son absence, ils peuvent se défendre car ayant proclamé leur position, je pars du principe qu'ils savent manier les mots, ont accès plus ou moins spontanément à la légitimité de s'exprimer citoyennement, etc. Ce qui fait une enooorme différence d'outillage par rapport au public que je rencontre via mon travail qui a lui besoin d'abord de bienveillance et de légitimité donnée à sa parole. Quant à la bienveillance par rapport aux émotions de désespoir qui les auraient conduit à l'abstention, l'émotion est pareillement présente chez ceux qui sont allés voter ….).
Je crois que l'on peut être bienveillant(e), mais aussi savoir faire preuve d'une colère salutaire! Les 2 sont compatibles 🙂