
Quand j’étais jeune adulte, Jacques Séguéla n’avait pas encore sorti sa connerie sur la Rolex sans laquelle on a paraît-il raté sa vie à 50 ans, mais le message que m’envoyaient ma famille, la société, les médias et surtout l’école dans laquelle j’étudiais était très clair. Réussir dans la vie, c’était avoir un boulot prestigieux, le salaire faramineux qui allait avec, une grande maison, une grosse voiture et, pour les propriétaires d’utérus notamment, deux ou trois marmots vifs d’esprit.
Moyennant quoi, dès que j’ai été libre de le faire, je me suis mise à mon compte dans une profession que peu de gens prennent au sérieux, qui ne me rendra jamais riche et qui me laisse à la merci des caprices de la conjoncture comme de l’administration. Je me suis obstinée à vivre dans des petits appartements, et je regrette même d’avoir acheté le mien au lieu de rester juste locataire. Je me déplace essentiellement à pied ou en transports en commun. Quant aux marmots de quelque disposition intellectuelle que ce soit, je me suis donné beaucoup de mal pour éviter qu’un seul d’entre eux débarque dans mon existence malgré le choeur général des « Mais avoir des enfants, c’est la plus belle chose dans la vie d’une fââââme! ».
Je sais que mes parents ont toujours considéré que je gâchais ma vie sur à peu près tous les plans, surtout comparée à ma soeur qui elle faisait (et fait toujours) un magnifique carton plein. Le truc, c’est que ma soeur est très heureuse comme ça et s’éclate aussi bien dans sa carrière que dans sa vie privée, alors que ça ne serait pas mon cas du tout. Si j’avais été un peu moins rebelle, un peu moins imperméable à l’avis des autres, un peu moins déterminée à suivre ma propre voie, j’aurais laissé mon entourage me vendre une vie Ikea pas du tout faite pour moi, et je déprimerais sévère. Alors que là, malgré des erreurs multiples et souvent douloureuses, je suis tout aussi heureuse que ma soeur – à ma façon.
Je fais un métier qui m’apporte une certaine satisfaction créative, pas tous les jours, mais le plus souvent. Qui ne m’oblige pas à forcer mon tempérament asocial. Qui ne me fait pas perdre de temps en trajets maison-boulot chaque matin et chaque soir. J’organise mes journées comme je veux du moment que je respecte mes dates de remise. Je me partage entre deux lieux de vie très différents, aux avantages complémentaires. Je prends mes vacances quand je veux, et c’est moi qui décide de leur durée selon que j’ai plus besoin de sous ou de repos. J’ai un partenaire que j’aime, et la possibilité d’investir toute mon énergie relationnelle dans notre couple. Vivre dans un petit appartement me laisse des ressources financières pour voyager un peu tout en m’évitant d’avoir trop de problèmes matériels à gérer.
Mon luxe à moi, c’est de me sentir libre et légère.
Je n’ai pas réussi dans la vie, mais je réussis ma vie chaque jour.
Sauf exception, les commentaires sont désactivés. Si vous voulez poursuivre la conversation, je vous invite à le faire sur la page Facebook du blog.
C'est marrant, ce matin, je pensais à faire un article sur le rapport au travail. Ton billet croise certaines de mes réflexions.
Je suis totalement d'accord avec ton approche. Avoir une situation "brillante" sur le plan social se paie cher (pas de vie de famille, de la pression, obligés de faire des choses pas en accord avec nos valeurs…) sans compter que je me demande bien quels sont les métiers "respectés" et socialement valorisés aujourd'hui. Je n'en vois pas beaucoup…
Bonne journée à toi !
Super ! Je te félicite de çà car beaucoup de gens font tout pour entrer dans le moule, gagnent peut-être beaucoup, vivent dans une maison luxueuse, ont des enfants qu'ils n'ont pas forcément désiré et n'ont pas cette lumière dans le regard des gens libres ! Chaque être est différent et a ses propres attentes et aspirations. Pour ma part, j'ai toujours tout fait pour ne pas entrer dans le moule. J'ai une maison que j'aime, deux enfants désirés et aimés, une vie qui fait la part belle à mon rôle de maman, une carrière que je n'ai jamais voulu lancer, j'ai osé dire non à des propositions professionnelles alléchantes, tout ceci pour garder la liberté de faire ce que je veux, ne pas me verrouiller moi-même dans une vie étouffante. Rien ne vaut la liberté et la passion ! Bravo encore !
Je me faisais cette réflexion: pour les générations passées, les parents, les grand-parents, ou plus loin encore, réussir dans la vie, c'était probablement sortir de la misère. Misère qui ne permettait pas de se sentir bien dans la vie. Bref, juste pour dire que la donne a changé entretemps, en tous cas pour certaines personnes.
A part ça, je suis plutôt sur la même longueur d'ondes que toi: ma mère rêvait de grandes choses pour moi mais je suis quasi sûre qu'elles ne m'auraient pas rendues heureuse. (ça impliquait du fric et un statut).
Avec mon changement de secteur, j'ai perdu 200 euros par mois mais je ne pleure plus un jour sur deux. Et lors de la conversation déprimante avec des potes sur la violence du monde du travail, qui consistait à dénombrer ceux d'entre nous véritablement heureux dans ce domaine (c'est-à-dire qui ont un job qui leur plait ET qui ne porte pas atteinte à leur personne), je faisais partie des deux (seulement deux!) chanceuses. Alors bon…
Quand j'étais petite, j'ai servi à mes parents ce qu'ils voulaient entendre (appart' avec baies vitrées dans un gratte-ciel, hôtels de luxe, voiture de course) (lolilol), et y ai cru assez longtemps.
Une fois adulte, j'ai laissé ça de côté au profit d'une vie simple mais ma mère me titille encore : « et tes baies vitrées, alors !! ». Le pire, c'est que j'ai bien d'énormes baies, juste pas très classes 😀
Et comme Ness, je me sens chanceuse de ne pas me sentir comme une esclave dans une entreprise, parmi mes amis.
Je suis admirative des personnes qui comme toi qui ont su faire leurs propres choix de vie, dans la durée.
C'est beau !
🙂