Dix ans, c’est mieux que dix jours, dix semaines ou dix mois

Plus jeune, je croyais que j’aurais beaucoup de mal à me passer, un jour, de l’effervescence d’un nouvel amour. La tempête d’hormones. La découverte de tant de points communs, et aussi de différences excitantes. Le sexe partout, tout le temps. Les conversations passionnées jusqu’à pas d’heure. L’impression d’être tout le temps ivre sans avoir bu une goutte d’alcool. La création d’une bulle pour deux. Les perspectives d’avenir vertigineuses.
Mais la tempête d’hormones finissait toujours par se calmer (ce qui était heureux pour ma productivité). Les différences excitantes commençaient à me faire grincer des dents. Le silence s’installait peu à peu pendant les repas. Le futur devenait angoissant plutôt qu’excitant. Suivant! 
En tout honnêteté, je ne comprenais pas qu’on puisse passer sa vie avec quelqu’un sans finir par s’ennuyer sévèrement. Malgré quelques très beaux exemples contraires autour de moi, j’avais l’impression que la plupart des couples restaient ensemble pour les enfants, par habitude, sens du devoir ou peur de la solitude… Bref, rien qui me parlait vraiment. 
J’ai eu deux relations sérieuses avant l’âge de 35 ans et dès le début de chacune d’elles, mon instinct me disait que c’était une mauvaise idée. Un Catho de droite qui voulait quatre enfants et une femme qui ne la ramenait pas trop parce que c’était lui le chef de famille même si je bossais alors que lui non? Un militaire sportif qui détestait la ville, n’ouvrait jamais un bouquin et accessoirement était à deux mois de se marier la première fois qu’il a couché avec moi? Rétrospectivement, c’est assez risible. (D’ailleurs, j’en ris. Ah ah.) 
Quand j’ai rencontré Chouchou, je voulais juste du sexe tout sauf une troisième relation sérieuse. De toute façon, ce n’était absolument pas mon genre d’homme. Moi, je les aimais grands, chevelus et si possible vivant dans le même pays. Comme de toute évidence, je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il me faut en amour, je suis toujours avec lui dix ans plus tard, et très heureuse même si notre relation a aussi traversé son lot d’orages et eu à négocier pas mal d’écueils en chemin. 
Aujourd’hui, je peux dire une chose: si on a bien choisi, être avec quelqu’un depuis dix ans, c’est vachement mieux qu’être avec lui depuis dix jours, dix semaines ou même dix mois. Bien se connaître et avoir tant de souvenirs communs, de mon point de vue, ça dépasse largement la fameuse effervescence des débuts. Ce qu’on perd en intensité superficielle, on le gagne dix fois en profondeur et en solidité. Je ne me sens pas immunisée contre le risque d’une rupture, mais notre couple m’apporte bien davantage de satisfaction aujourd’hui qu’aux premiers jours. 
J’aime que Chouchou ait connu mon père, qu’il sache d’où viennent certains de mes traits de caractère et de mes névroses. Il me dit qu’il aime que je n’aie pas connu le sien, et ça me rend un peu triste pour lui – mais d’un autre côté, je comprends. J’aime que notre relation ait l’âge de Darklulu et qu’elle grandisse en même temps que lui; ça fait un chouette point de repère. J’aime que mes neveux ne se souviennent d’aucun autre « oncle » que lui. J’aime qu’à force d’aller voir ma famille à Toulouse, on ait nos petites habitudes même là-bas. 
J’aime qu’on se trouve toujours aussi drôles mutuellement, alors qu’à la base on n’a pas le même style (je tends plutôt vers le sarcasme et lui vers l’absurde) ni les mêmes références culturelles. Petit à petit, on déteint l’un sur l’autre et on se crée un humour du troisième type qui n’appartient qu’à nous. J’aime le répertoire de private jokes plus ou moins foireuses qu’on s’est constitué au fil des ans, et qui continuent à nous faire hurler de rire à une heure de la nuit où on devrait déjà dormir depuis longtemps vu qu’il y a école le lendemain. J’aime que la conversation entre nous ne se soit jamais tarie, même si nos opinions divergent sur presque tout. J’aime que lorsqu’un silence s’installe, il soit confortable et qu’aucun de nous deux n’éprouve le besoin de le combler juste pour le combler. 
J’aime quand on parle de nos voyages passés et qu’on prépare les prochains. Depuis le temps, on a repéré ce qui fonctionne bien pour nous. On sait qu’on préfère les appart’ Air B n B aux chambres d’hôtel et les  cantines locales aux « vrais » restos, qu’il réussira à m’entraîner dans un musée d’art moderne ou contemporain, que je rouspèterai pendant toute la visite et que ça le fera beaucoup marrer, qu’il verdira un peu s’il y a des turbulences pendant le vol et que je ne mettrai pas les pieds sur un bateau à moins d’avoir été droguée et ligotée. On se souviendra toujours du froid qu’il faisait en juin dernier à Edimbourg, des escape game géniaux à Budapest, du voisin qui écoutait de la musique baroque plein pot jusqu’à une heure du matin à Venise, des fabuleux fish and chips mangés à Reykjavik, des piqûres d’araignée récoltées à Fushimi Inari près de Kyoto. 
J’aime qu’on ait fini par apprendre à ne pas appuyer sur nos mauvais boutons respectifs. Il sait que ça ne sert à rien de me pousser à adopter rapidement des innovations technologiques parce que je résiste toujours fort et longtemps. Je sais que ça ne sert à rien de lui parler pendant qu’il est occupé à autre chose ou de le harceler pour qu’il range ses affaires. Il connaît les tenants et les aboutissants de mes crises d’angoisse; je connais les tenants et les aboutissants de ses troubles de l’attention. Il ne soupire pas quand je le sollicite pour la énième fois parce que je bloque sur un truc informatique. Je ne soupire pas en lui faisant remarquer le sac de courses qu’il est sur le point d’oublier sur la chaise voisine au resto, ni en l’aidant à chercher son iPhone quand il part bosser le matin.  
J’aime qu’on se soit vus au pire de nos états respectifs – lui paralysé de douleur par un calcul rénal, frôlant les cent kilos ou éructant d’une colère horrible, moi vomissant en pleine rue à cause d’une migraine ophtalmique, au poids le plus élevé de ma vie ou en train d’hyperventiler sous le coup d’une attaque de panique – et qu’aucun de nous n’ait pris ses jambes à son cou. Qu’on ait eu des problèmes sérieux et qu’on ait mis beaucoup d’énergie et de bonne volonté à les surmonter. Qu’on ait failli se séparer plusieurs fois mais qu’on soit toujours ensemble alors que rien ne nous attache l’un à l’autre, et même, que notre vie serait matériellement plus simple si nous n’étions pas en couple. 
Oui, dix ans d’une bonne relation, c’est mieux que dix jours, dix semaines ou dix mois. Dommage qu’on ait peu d’espoir d’arriver à se prononcer sur dix siècles!

14 réflexions sur “Dix ans, c’est mieux que dix jours, dix semaines ou dix mois”

  1. 10 ans aussi que je suis avec mon amoureux, le père de nos deux filles, et franchement j'ai souvent ri et souvent été émue aussi en te lisant : a priori, on n'était pas vraiment faits pour s'entendre non plus 😉 je vais lui faire lire tiens !

  2. Je suis touchée par ton texte et je l'approuve à chaque mot près. Je suis en couple depuis 11 ans avec un homme assez différent de moi et… c'est très précieux. Nous n'avons pas connu l'amour-passion des débuts et c'est très bien comme ça. Nous sommes nécessaires l'un à l'autre et là l'un pour l'autres, même s'il y a eu des orages et des disputes parfois ou des problèmes à traverser.
    Belle soirée à toi !

  3. Quel joli texte (il en a de la chance, d'avoir de belles déclarations comme ça, ici) (et toi, d'avoir de chouettes dessins et photos).

    Je me marre comme une baleine en lisant votre type d'humour respectif et tremble en apprenant qu'il y avait des araignées à Fushimi Inari.

    Et dans le genre soutien, je sais que mes beaux-parents ont commencé à avoir toute confiance en moi après avoir su que j'étais restée soutenir monsieur jusqu'au dernier mot après une crise de panique bien à lui.

    Enfin, je me rends compte avec effroi que ça va faire 10 ans aussi pour nous, alors qu'on a une toute petite dizaine d'années d'écart ^^

    PS : d'où vient la photo, du coup ?

  4. Shermane: Une petite dizaine d'années d'écart? Tu es très gentille, ou très mauvaise en calcul mental 😀 On est plutôt du côté de la petite vingtaine (*gasp*) Quant à la photo, elle a été prise à la fin d'un escape game à Budapest. Chouchou trouve que c'est celle qui représente le mieux notre couple.

  5. Tu n'as pas 45 ans ?
    Et je crois bien que j'en ai 29 (et monsieur 34, donc ça rééquilibre un peu).
    Rassure-moi ?? ^^"

  6. Shermane: Si si, 45. Ce qui nous fait donc 16 ans de différence. Plus près des 20 qu'un peu en-dessous des 10 ^_^

  7. Grosquick de la mancha

    Je me demande pourquoi il pense que cette photo vous représente bien…
    Ceci dit, joli texte mais 10 ans déjà?
    je me souviens de nos conversations à ton sujet avec votre rencontre, dans un petit resto de crèpes près de l'unif 🙂
    et hop, en route pour les 10 prochaines années.

  8. Ça c'est de la déclaration !
    Je trouve ça plutôt rassurant ce que tu dis et j'espère qu'un jour je pourrai tirer une aussi jolie conclusion d'une relation. Pour le moment j'en suis au stade où je ne sais pas comment on peut rester 10 ans avec la même personne sans s'ennuyer vu qu'au bout de 3 ou 4 ans j'en ai déjà marre :P. Mais il y a peut-être un espoir… plus que 9 ans 😉

  9. Cécile de Brest

    Ton texte est très touchant !
    Voilà 19 ans que je suis avec mon mari (oups quand même) et 14 ans de mariage cette année. Clairement nous n'avions rie npour nous entendre : 15 ans d'écart, lui était déjà dans la vie active et moi encore étudiante quand on s'est rencontré, nos avis divergent sur pas mal de points de vue (livres, films, nourriture) mais pas sur les points les plus importants : l'éducation des enfants !
    Finalement, je me dis que c'est sans doute pour cela que ça marche (avec des hauts et des bas aussi hein ? faut pas idéaliser), on ne se ressemble pas donc on s'enrichit de l'autre sans cesse. Sinon, on s'ennuie.

  10. Comme dit plus haut : ça donne envie.
    Jolie déclaration. C'est une qualité et une chance de s en rendre compte et de savoir l exprimer.

  11. Je répète le commentaires des autres, mais c'est une jolie déclaration. Nous entrons dans notre treizième année. Nous avons eu nos moments de doutes de prises de tête mais nos différences nous renforcent paradoxalement!
    Félicitation et je vous en souhaite encore 10!

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