Et maintenant, on fait quoi?

C’est la question que je me pose depuis mercredi dernier. Parce que même d’un point de vue très égoïste, il serait naïf de croire que ce qui se passe aux USA ne va pas nous affecter, fût-ce indirectement. Et encore plus naïf de refuser de voir que les soubresauts d’agonie du patriarcat blanc sont en train de provoquer en Europe une nouvelle montée du fascisme et du repli identitaire qui rappelle méchamment l’Allemagne des années 30. En France, on peut être quasiment certains de voir Marine Le Pen au second tour des présidentielles en mai prochain. Et même si elle est battue, ce sera vraisemblablement par Alain Juppé ou un politicard du même acabit, quelqu’un de déconnecté de la réalité qui continuera à faire le jeu des banques et des multinationales et d’aller chercher de l’argent là où il n’y en a plus (dans les poches de la classe moyenne) au lieu de courir après le manque à gagner ahurissant de l’évasion fiscale. 
Ce qui n’est pas qu’un problème d’ordre économique: quand la classe moyenne se sent acculée, elle se retourne rarement contre les puissants; elle préfère chercher des boucs émissaires parmi les gens encore moins fortunés qu’elle. Soit les immigrés et les réfugiés, au hasard. On a un gros, gros problème de société sur les bras, et de mon point de vue, on ne le résoudra pas sans dynamiter le capitalisme. Comme le temps qu’on s’y résolve, on aura sans doute pourri la planète au point de la rendre quasi-inhabitable par l’être humain, j’avoue que la tentation de baisser les bras est assez grande pour les privilégiés dans mon genre, ceux dont le mode de vie se trouve le moins directement menacé. 
Car après tout, que faire contre cette situation déprimante qui nous dépasse? Comment penser qu’on peut avoir un impact significatif sur elle? Je n’ai pas l’intention d’entrer en politique pour tenter de changer le système de l’intérieur. Je n’aime pas assez les gens pour aller faire du bénévolat sur le terrain. Je ne suis même pas suffisamment maîtresse de mon tempérament pour essayer de recadrer les racistes/misogynes/homophobes de façon calme, polie et raisonnée – c’est-à-dire, sans les traiter de connards décérébrés au bout de 2,7 secondes, ce qui me soulagerait sur le coup mais serait sans doute peu productif et risquerait de m’envoyer à l’hosto pour peu que je tombe sur un connard décérébré violent. Je ne suis pas prof pour éduquer la prochaine génération. Et comme je vis, encore plus que la moyenne, dans une bulle où je ne laisse entrer que des gens possédant des valeurs similaires aux miennes, la seule chose que je sais faire à peu près bien – écrire – ne toucherait que des personnes déjà convaincues. 
Pourtant, je pense qu’il est important de chercher des moyens d’action concrets. Parce qu’au bout d’un moment, ne rien faire, c’est collaborer avec les dominants. J’ai beau me dire que je suis quelqu’un de globalement bienveillant (à distance si possible, mais globalement bienveillant quand même), si je n’agis pas pour changer ce que je vomis, j’en deviens responsable moi aussi. Coupable d’avoir laissé faire les pourris. De cautionner leurs agissements par mon silence et mon immobilisme. J’ai très souvent envie de me soustraire à la société humaine, mais que ça me plaise ou non, j’en fais partie. Je ne peux pas me dérober. 
Et donc, je cherche comment être l’un de ces petits ruisseaux qui, paraît-il, peuvent faire les grandes rivières. J’aime beaucoup l’initiative de l’épingle à nourrice, mais même si ça prenait en Europe, vu que je passe 95% de mon temps enfermée chez moi, l’adopter ne servirait qu’à décupler ma consommation de pansements (je suis assez peu adroite). J’ai la ferme intention d’augmenter mes contributions financières à des causes qui m’importent. Et de prendre un abonnement payant à un site de presse sérieux. Autre idée à laquelle je n’aurais pas forcément pensé sans Sarah von Bargen: privilégier les événements et les produits culturels qui mettent en avant les LGBTQ et les racisés ou traitent de leurs droits. Je dirais bien: a contrario, ne pas consommer d’âneries crasses qui incitent au sexisme et à la discrimination (genre les émissions de Cyril Hanouna et Cie), mais je ne le fais déjà pas. Après, je sèche un peu. Et comme je suis sûre de ne pas être la seule à me poser ces questions depuis quelques jours… je vous écoute. Au quotidien, qu’est-ce que vous faites ou envisagez de faire pour défendre vos valeurs et empêcher le Côté Obscur de gagner? 

13 réflexions sur “Et maintenant, on fait quoi?”

  1. Je ne sais pas. Et ça me fout les boules.
    Ne serait-ce qu'au niveau de l'environnement, les ravages que risque de provoquer ce sinistre tocard orange sont catastrophiques et vont rendre la situation mondiale encore plus instable. Déplacements massifs de populations, réfugiés climatiques, guerres de nourriture… Comme d'habitude, les plus fragiles vont trinquer les premiers mais il faut être un sacré connard arrogant riche et cynique pour croire que ça ne nous touchera pas.
    Ayant des limites psychologiques disons fragiles, mon militantisme LGBT reste assez limité au seul internet et on tombe déjà sur de sacrés $%£§ heureux de répandre la haine, ne serait-ce que par jeu. Et ne serait-ce que face à ça, je me sens déjà vite impuissante…
    Alors non je ne sais pas. Etre bienveillant avec ses proches, essayer de vivre selon ses principes, penser écologie et tenter d'être le moins "nuisible/toxique" possible, c'est une chose, mais ça semble tellement ridicule face aux systèmes de corruption, de néolibéralisme, de conflits d'intérêt bien installés partout que…
    Voilà, je ne sais pas.

  2. Au quotidien, mes enfants et mon boulot. Toujours pointer du doigt ce qui ne va pas, expliquer 50 fois si il le faut jusqu'à ce qu'ils assimilent et partagent avec leur copains. Et dans le cadre de ma profession traiter chaque patient de manière humaine et être à l'écoute, ne pas poser de jugement être là pour apaiser et aider.

    Ouvrir ma bouche et arrêter de penser que ma voix ne mérite pas d'être entendue.

    Faire des dons a des associations qui privilégient l'éducation chez les filles et la protection de l'enfance.

    Ce n'est qu'une goutte d'eau et parfois je me sens bien gênée sous mon toit avec un job, une voiture, des enfants en bonne santé dans un environnement dans lequel je me sens en sécurité.

  3. Qu'est-ce que je fais ?
    Honnêtement, là tout de suite je ne sais pas. Je ne peux pas faire venir ici les gens que j'aime et qui risquent de souffrir de la situation aux EU (Et dieu sait pourtant que… bref.) et je ne sais pas trop non plus quoi penser de l'idée d'arborer une épingle à nourrice. Comme toi, je ne suis pas assez sociable, au sens de la fréquentation de lieux où ça pourrait avoir un sens, pour que ça soit utile si ça existait en France. France pour laquelle je ne suis pas hyper rassurée, hein… -__-

    Alors que faire ? Surtout quand je ne dispose pas d'argent à donner pour des causes qui me semblent justes ?
    Dispenser autant de positif que possible autour de moi. "Tu fais les choses avec le coeur", m'a dit un ami il y a quelques mois. Je vais continuer. Même si ça peut paraître naïf ou trop gentil, quitte à en faire un peu trop et à rappeler à mes amis que je les aime pour ce qu'ils sont et que quelles que soient leurs origines, leurs genres, leurs orientations sexuelles, leurs convictions qui ne sont pas toujours identiques aux miennes sur tous les sujets, ce sont des gens merveilleux.
    Essayer de ne pas me laisser trop gagner par la colère et la peur (qui mènent à la haine, qui mène au Côté Obscur. C'est bien connu ^^ – Non, plus sérieusement, ça a pour seul résultat de me bouffer des journées entières).
    Être là pour ceux qui pourraient avoir besoin de parler, de s'appuyer sur une épaule.
    Retourner, et c'est minuscule, faire les Eye Contact Experiment qui peuvent se poursuivre sur Paris, parce qu'ils m'ont fait parler avec des tas de personnes différentes, de la toute jeune adolescente au retraité en passant par l'Arabe et la jeune femme voilée qui m'a fait un câlin à l'issue de notre conversation sur le fait d'accepter l'autre, et parce que ces événements me rappellent qu'il existe des personnes de bonne volonté partout. On parle peut-être juste moins fort que d'autres.
    M'autoriser à pleurer si j'ai besoin de pleurer, mais aussi à croire que les choses peuvent changer vers du mieux. J'ai déjà connu des périodes où je baissais les bras dans le passé. Ça n'aide jamais. Et aujourd'hui plus que jamais, j'ai besoin d'être debout, et je refuse de baisser la tête.

    Nous sommes des gens de bonne volonté. Nous pouvons faire la différence. Et j'ai aussi un peu envie de dire, "nous devons faire la différence". Nous portons des valeurs positives. Le moins que l'on puisse faire, c'est de ne pas les perdre et de les faire vivre. En nous, pour notre entourage, et un peu plus loin que celui-ci encore. Je veux y croire. Je veux vraiment y croire…

    Mélusine

  4. J'ai un article du même acabit qui attend dans mes brouillons wordpress. Voilà des mois que je me fais des noeuds au cerveau en me demandant ce que je peux faire pour "changer les choses".

    Comme toi j'ai changé ma consommation : j'achète le plus possible en accord avec mes valeurs, et boycotte certaines marques ou certains magasins.

    J'ouvre ma gueule au maximum, parfois pour des trucs cons. La semaine dernière je me suis retrouvée à rétorquer à mon banquier qu'on ne disait plus mademoiselle, que c'était madame un point c'est tout, même si j'étais pas mariée. Parfois je pose des questions aux gens du type "est ce que tu dirais ça si c'était un homme ?"

    Mais pareil que toi, je n'atteins que les gens de mon entourage, donc des gens que j'ai bien trié sur le volet, qui ne sont ni racistes, ni sexistes (mis à part celui qu'on a tous un peu dans l'éducation et duquel on doit tous prendre conscience), qui ne soutiennent pas le FN, des gens que je ne vais pas changer quoi.

    Et pour la politique, alors là, franchement, je sèche. Je voudrais tellement qu'un président nous fasse un grand ménage dans tout ça, en commençant par virer tous les gens condamnés rien qu'une fois dans leur vie, obliger à la transparence sur les dépenses, faire appliquer la loi sur le cumul des mandats, etc… Des fois j'ai envie de lancer des pétitions et de les diffuser massivement, puis de les envoyer au Président, toutes les semaines s'il le faut, d'organiser des sitting devant les bâtiments gouvernementaux, bref, de les faire chier jusqu'à ce qu'ils changent.

    Ce qui me sidère, c'est que les gens partagent en masse sur les réseaux sociaux des conneries sur les musulmans ou les migrants et qu'il n'y a jamais personne pour s'insurger contre les abus des politiques ou hommes d'affaires, qui ont bien plus de conséquences néfastes sur nos vies que l'arrivée de quelques centaines de réfugiés en France (qu'on devrait accueillir les bras ouverts, honte à nous).

    Bref, tu l'auras compris, ça m'énerve.

    Merci pour ton article !

  5. Jennyfleur rêve le vent

    La seule chose que je fais est d'essayer de convaincre le peu de gens de mon entourage pas encore convaincu, soit à coup de partage d'articles "qui vont bien" sur Facebook, soit par la discussion face à face. Mais j'avoue que la deuxième solution est de plus en plus difficile pour moi. Plus vraiment de patience ni d'envie de me confronter aux esprits étriqués et moutonniers…
    Après,je ne vois pas… ????????????

  6. A un niveau global, je ne sais pas si on peut encore rattraper la savonnette…mais une chose est sûre, ton cri du cœur est juste et important. Il faut commencer, même si c'est petit et dans la limite de nos moyens. Et il vaut mieux bouger maintenant que de devoir (s'en)courir plus tard. J'ai transféré ton article à mes proches, car je trouve qu'il résume tellement bien l'état des choses. Et surtout il fait sonner une alarme là où certains d'entre nous dorment encore en rêvant qu'on sera à l'abri…Serai contente de vous revoir samedi midi et d'en parler avec toi. A très bientôt.

  7. J'ai lu l'autre jour un article d'un journaliste très énervé suite à l’élection de Trump, et au-delà du fait que j’ai trouvé ça assez cathartique, il fait des propositions intéressantes à la fin. Elles sont toutes de l’ordre politique donc à part militer pour les rendre effectives, on ne peut pas faire grand-chose nous-même, mais il y en a plusieurs qui semblent extrêmement logiques et c’est un idéal à garder en tête (à défaut d’être réalistes ou immédiatement applicables). https://medium.com/france/trump-le-plus-grave-ce-nest-pas-sa-victoire-mais-notre-r%C3%A9action-1586b8370a9f#.rnxk4gazk
    Une chose que je m’efforce de faire à mon petit niveau, c’est de répondre au maximum aux gens partageant des articles mensongers ou manipulateurs sur, au choix : les pauvres, les immigrants, les femmes… J’ai sur mes réseaux sociaux pas mal de contacts datant de l’école primaire qui ont des idées politiques radicalement différentes des miennes, et pendant longtemps j’ai préféré les ignorer ou les cacher (avec l’aide de Facebook qui ne se fait pas prier pour filtrer ma timeline et ne me montrer que ce avec quoi je suis d’accord !). Eh bien maintenant, quand je peux, si je ne suis pas d’accord je le dis, et si des informations erronées ou tout bonnement fabriquées sont partagées, je partage en retour le contre-argument (les Décodeurs du Monde aident pas mal pour ca). Je ne sais pas si ça fait vraiment changer les gens d’avis, mais au moins j’essaie de leur montrer qu’il y a d’autres opinions ou que la vérité n’est peut-être pas ce qu’ils croient.
    J’ai aussi rejoint le mouvement « Stop Funding Hate » (ils ont une page Facebook) qui fait pression sur les grandes marques au Royaume-Uni qui font de la pub dans des journaux aux lignes éditoriales xénophobes, racistes, sexistes. Grace à leurs actions Lego a déjà annoncé cesser de faire de la pub dans ces journaux et d’autres grosses marques semblent prêtes à suivre le même chemin.
    Je pense qu’une partie des solutions passe, comme tu dis Armalite, par un peu plus d’action et surtout par le fait de ne pas rester silencieux, quelle que soit la méthode qu’on choisit d’adopter.

    Je nous souhaite à tous bienveillance, communication et endurance (il va en falloir !)

  8. Merci pour le lien Biankacha! Et je vais tout de suite jeter un coup d'oeil à la page FB de "Stop funding hate", c'est une initiative intéressante.

  9. Merci pour ta réflexion et celle qu'elle m'oblige à élaborer.
    Pour moi ça va passer encore plus par la façon dont je souhaite élever mes enfants. Je voudrais, entre autre, essayer de favoriser leurs relations avec des camarades issus d'autres milieux culturels et sociaux (mais ils n'ont que 5 et 2 ans, ça se limite donc quasi à l'école et la crèche, et on ne choisi à leur place les amitiés de ses enfants).
    Refuser d'accepter et propager les poncifs du genre les garçons ci, les filles ça…
    Et puis leur donner l'exemple bien sûr.
    Choisir avec soin nos modes de consommation : nous sommes membres d'un supermarché coopératif, et j'essaie de privilégier les circuits courts et responsables.
    Donner du temps pour des causes qui nous semblent justes : mon compagnon est bénévole dans un centre d'accueil pour les migrants (et vu le temps que ça lui prend sur notre vie de famille, c'est un peu mon engagement aussi).
    Et puis parler, défendre le droit des femmes et des LGBT même si ça veut dire devoir entendre des propos qui donnent envie de crier et vomir…
    Bref, pas grand chose, mais c'est la part que je peux (nous pouvons) accomplir pour l'instant…

    Cécile

  10. Hello à tou(te)s,

    Pour répondre à ton commentaire Lil – (et j’imagine que tu partages juste l’info, pas que tu as forcement la même opinion) je comprends que certaines personnes aient cette opinion de campagnes comme Stop Funding Hate.

    Je ne sais pas si j’ai raison de les soutenir, j’ai fait de mon mieux pour me renseigner et j’adhère à leurs idées.
    Pour moi leur initiative a du sens car elle tape là où ça fait mal : dans le compte en banque de ces journaux. Je ne trouve pas que cela soit une tentative de museler la presse, comme le dit l’auteur. Ces journaux ont le droit de raconter ce qui leur chante, absolument; mais ils déforment très souvent la vérité et je trouve normal qu’il puisse y avoir des conséquences. Oui, c’est assez clairement une initiative « de gauche » contre des journaux très (très) de droite. Rien n’empêche d’autres mouvements de faire la même chose contre des journaux de gauche s’ils estiment qu’ils déforment la vérité. D’ailleurs la campagne vise les revenus de ces journaux et ne lance aucun recours à la justice, car ils savent très bien qu’ils n’ont pas de bases légales pour les attaquer.
    C’est du lobbying comme on en trouve partout et beaucoup en politique. Et comme il y a en UK des liens assez étroits entre la presse et les politiques, (pareil dans beaucoup d’autres pays), je ne suis pas choquée que les mêmes méthodes s’y appliquent.

    Apres, le Spectator est un magazine réputé très conservateur, et le mec qui a écrit ca est également très conservateur, libertaire a tendance polémique, donc forcément il prend le contrepied total de ceux qui soutiennent Stop Funding Hate et balance tous les contre arguments possibles 🙂

    Désolée pour le pavé, débattre de tout ça m’intéresse énormément et je ne viens pas pour contredire mais pour réfléchir !

  11. Mon job, c'est 100% de création d'esprit critique via des outils offerts à des femmes qui se rendent compte qu'elles sont dans la même galère. Un travail ouvertement féministe, anti-raciste, anti-sexiste, anti-capitaliste. Sur le terrain se produisent de belles choses mais aussi l'expression de tensions racistes. Et parfois je désespère, j'ai l'impression que je n'aurai jamais assez d'énergie. Epuisée mais persuadée du coup que la seule voie, c'est de resolidariser les classes populaires (et pas moyenne, parce que le terme brouille la réalité d'une précarité de plus en plus partagée). Faire se rencontrer et rencontrer la femme voilée et la pétillante cinquantenaire blonde et qu'elles réalisent qu'elles ont toutes les deux quitté un mari qui voulait qu'elles aient les seins plus gros et qu'elles bossent pour une misère. Repartir des expériences partagées, et pas des idées et de la façon dont le débat est agencé par d'autres que nous. Mais c'est à faire avec tellement d'ingéniosité toujours requestionnée, pour que cette collaboration ne soit pas encore rejetée comme de l'intellectualisme. C'est exigeant, bouleversant quand on met les deux mains dedans, épuisant. Et c'est un processus long. Tu sèmes une graine et tu laisses courir. Et semer la graine demande aussi du temps, incompressible, qui devient un luxe.
    A un niveau personnel, ce que ça a changé, c'est de me dire que même avec un (très très) solide esprit critique de base, il y avait encore une marge d'approfondissement énorme, et des chemins que je n'avais pas encore empruntés, pour élaborer une réflexion différente, une micro étincelle de rien du tout qui va au-delà des constats et des poncifs de l'esprit critique, même très élaboré.
    Cela me pousse aussi à parler plus (dans le métro, au supermarché, dans la salle d'attente du médecin) avec des femmes complètement différentes de moi à première vue. Avant j'étais contre le racisme mais quand est-ce que je parlais réellement à des personnes différentes de moi? tellement peu souvent. Parler, c'est recueillir des histoires, des dysfonctionnements concrets du système, et ressortir la bonne histoire au bon moment à la personne non convaincue d'égalité, pour faire du lien. C'est peu, mais ce n'est déjà plus la façon dont d'autres que nous posent le débat. Il faut mettre des personnes derrières les stéréotypes, car le stéréotype fonctionne en effaçant la personne.
    Je considère aussi chaque rapport avec une institution publique comme une participation à la société telle qu'elle est organisée aujourd'hui (qui ne me plait pas)et une façon d’interagir politiquement. Il ne me viendrait jamais à l'idée de formuler mes demandes à la crèche de ma fille comme des exigences légitimes de parent qui décide et qui paie (telle purée, telle horaire de sieste ou que sais-je). En mettant ma fille à la crèche, je suis les deux pieds dans la façon dont la société pense le soin des enfants, le statut de celles qui les soignent (parents – souvent encore les mères, et professionnelles sous-payées), la conciliation vie pro/privée/familiale… et quand j'ai besoin de quelque chose, j’interagis avec tout cela, je n'exige pas. Pareil pour l'hosto public, l'administration communale, etc…
    Voilà ma (longue mais toute petite) pierre à l’édifice. Et malgré tous ces lieux politiques dans lesquels je suis professionnellement, j'ai eu du mal à me remettre de la semaine dernière (le lundi, j'ai du commencer par le site de campagne de Juppé. C'est 10 fois pire que ce que je pensais. ça m'a fait violence).

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