
Fin de journée sur Monpatelin. Le primeur était exceptionnellement fermé, et je n’ai pas pu racheter d’avocats, mais j’ai dans mon sac en toile une boule de mozzarella pour me préparer une pizza ce week-end, les oeufs qui manquaient pour mon banana bread, plus un sachet de pains au lait à tartiner de confiture pastèque-vanille pour les moments de blues.
Hier soir, après presque un mois d’observation de mes humeurs principales, j’ai défini les couleurs que je voulais utiliser pour mon projet de moodmapping. Il y aura le rose pour la joie, le bonheur, la satisfaction, la sérénité; le bleu pour la tristesse, l’ennui, le regret, la mélancolie; le rouge pour la frustration, l’irritation, la colère, l’agressivité; le noir pour l’angoisse qui dévore tout.
Jusqu’ici, ça a été une journée rose clair. Il fait beau, j’ai bien bossé, Chouchou a reçu une bonne nouvelle très attendue avant-hier. Rien de spécial mais tout va bien – et puis c’est l’été, ce qui constitue en soi une raison d’être heureuse. Comme je n’ai plus rien de spécial à faire chez moi hormis préparer mon repas du soir, je décide de m’accorder une heure de lecture à la terrasse du bar de la Place avant de rentrer. Je commande au serveur qui ne fait pas mal aux yeux mon habituel verre de punch couleur corail, tout droit sorti d’une bouteille bon marché et sobrement additionné de deux glaçons. Ce n’est pas la boisson la plus raffinée du monde, mais je l’aime bien parce que je l’associe aux moments paisibles et ensoleillés passés là, à cet endroit précis où je me sens si bien.
Je sors mon livre de mon sac et me plonge dans l’histoire de Katie Lavender, qui ayant perdu ses deux parents débarque incognito chez son père biologique au moment où celui-ci apprend que son frère chéri a escroqué un million de livres à l’entreprise familiale et s’est suicidé en se noyant dans la rivière voisine. Ca fait beaucoup de deuils en moins de cent pages. Je ne tourne pas la tête vers le restaurant bistronomique qui, de l’autre côté de la place, a remplacé le bar de la Poste où j’avais un vendredi midi emmené mon propre père manger de l’aoïoli, il y a au moins douze ans. Je n’ai pas envie de voir son fantôme repu et ravi se superposer aux tables chics et aux auvents élégants qui ont remplacé les tables en plastique vert et les parasols Ricard.
Une petite fille blonde et rose court autour de la fontaine glougloutante. Elle tente une échappée discrète mais déterminée vers le bout de la rue. Son père se lève pour la ramener. A une autre table, des retraités au visage buriné encouragent les joueurs de boule du terrain voisin avé l’assen. Derrière moi, un marchand de bonbons somnole sur son pliant en toile tandis que, sur la scène érigée pour l’occasion, deux chanteuses massacrent allègrement « Tous les cris les SOS » et « Sauver l’amour », probablement en vue d’une soirée hommage à Daniel Balavoine. Quand elles se taisent enfin, l’orchestre attaque une version instrumentale électronique et trop rapide de « Aimer est plus fort que d’être aimé ». C’est plutôt guilleret et assez déconnecté de l’original. Trente ans déjà que mon idole de jeunesse s’est tuée sur le Paris-Dakar et que je me suis roulée par terre de désespoir pendant trois jours. Ses chansons survivent déformées, comme le souvenir de mon père. Le temps passant, elles sombreront dans l’oubli, comme le souvenir de mon père.
A la table voisine, le serveur encaisse les consommations en philosophant: « Il y a un temps pour tout. Un temps pour payer et un temps pour mourir. » Les yeux me piquent et je mets connement à pleurer dans mon bouquin. La journée vient de virer au mauve. Il serait temps que je décide ce que je veux faire du reste de ma vie.
Sauf exception, les commentaires sont désactivés. Si vous voulez poursuivre la conversation, je vous invite à le faire sur la page Facebook du blog.
Oh bon sang, les trois dernières phrases… *Chouine et te fais un câlin*
Mélusine
<3
Que tes mots sont beaux…
Très beau billet, je partage ta mélancolie paternelle enfin je ne sais pas si j'ai bien choisi mes mots. Mais je me suis sentie moins seule à la lecture de ton billet et j'ai souri en lisant ta "critique" de la musique locale. Vraiment très beau billet : mélancolique et souriant