Les mauvaises pensées

Longtemps je m’en suis voulu pour les pensées peu charitables qui surgissaient parfois dans mon esprit. « Hé ben, elle marchera pas sur sa jupe, elle. » « Faudrait voir à acheter des soutifs à la bonne taille pour éviter les bourrelets dans le dos, madame. » « Toi, c’est pas en boulottant des Snickers en milieu de journée que tu vas perdre tes 30 kilos en trop. » Le physique et l’habillement féminins sont des sources infinies de réflexions moches, mais ils sont loin d’être les seuls. J’ai beau ne pas penser que les Musulmans sont tous des terroristes, avoir parfaitement conscience qu’ils forment le groupe de population le plus durement touché par les agissements de Daesh, la dernière fois qu’un barbu est ressorti de mon wagon en laissant sa valise dans le compartiment à bagages alors que le train était encore à quai, j’ai flippé. Des exemples comme ça, je pourrais vous en citer vingt par jour. 
Chaque fois, je dois m’auto-ramener à la raison. Si une nana veut sortir de chez elle à moitié à poil ou avec des fringues inadaptées, qu’est-ce que ça peut me foutre? Elle a le droit. De la même façon qu’elle n’a pas à s’habiller en fonction du regard des hommes, elle n’a pas de comptes à rendre à la Police du Bon Goût dont j’estime visiblement faire partie. Je ne connais rien de l’histoire de la dame aux 30 kilos en trop; si ça se trouve, elle est mieux dans sa peau que moi, ou bien elle a un problème de thyroïde et elle ne serait pas plus mince en se nourrissant de laitue, ou bien elle mange hyper sainement d’habitude mais ce matin elle n’a pas eu le temps de petit-déjeuner et elle est en hypoglycémie, ou bien… peu importe: c’est son estomac, pas le mien. Quant au barbu, il est sans doute allé faire pipi, se chercher un café au wagon-restaurant ou se griller une dernière clope avant le départ. Et il est peut-être chrétien. Ou pastafariste. Ou athée comme moi. 
Sans prétendre être la personne la plus tolérante du monde, j’ai toujours clamé que chacun peut bien faire ce qu’il veut tant qu’il n’emmerde pas les autres. Mais en constatant le nombre de pensées peu charitables qui me traversent l’esprit chaque jour, j’ai fini par me demander si ce n’était pas juste une posture intellectuelle, si au fond de moi ne se cachait pas une horrible réactionnaire bourrée de préjugés. J’ai beaucoup cogité là-dessus, jusqu’à accoucher d’une théorie dont je suis assez contente. Mes premières pensées sont des réflexes conditionnés par une société où le discours dominant est celui des mâles blancs hétéros et des médias anxiogènes. Le rétropédalage qui suit, en revanche, est le fruit des convictions féministes/bodypositive/anti-racistes que j’ai forgées par moi-même, en m’éduquant dans ce sens et en cultivant ces valeurs y compris lorsqu’on cherche à les museler. 
Maintenant, quand une remarque mesquine surgit au débotté dans ma tête, je la mets aussitôt de côté en adressant un doigt d’honneur mental à tous les conditionnements sociaux débiles. Ce qui me fait un public sacrément nombreux. 

14 réflexions sur “Les mauvaises pensées”

  1. Et quand tu commences à y réfléchir, tu constates avec quelle facilité effarante ton cerveau retombe dans ces travers. C'est comme avoir une autoroute 4 voies en face de toi, et obliger ton cerveau à passer par le petit chemin broussailleux.
    Oui, on peut se dire "moi je ne le ferais pas" "moi je ne dirais pas ça" "ça ne me plait pas". Mais il faut se rendre compte que tout ça n'est que projection de nos préjugés sur les autres. C'est pas toujours facile de rétropédaler mais plus on le fait, plus on s'habitue.

  2. Oui c'est définitivement un réflexe qu'on peut travailler pour le rendre automatique. Mais ça demande pas mal de vigilance, parce que l'influence des médias sur notre mental est quand même salement invasive.

  3. D'ailleurs, à ce propos, un des trucs qui aide le plus, c'est de choisir à quels médias tu t'exposes quotidiennement. Rien qu'en bannissant les chaînes de télé généralistes et les magazines féminins, on se rend un grand service, je trouve.

  4. Je boycotte les journaux télévisés depuis une éternité 😀 et ça fait une éternité plus grande encore que je ne lis plus de journaux féminins. Et la différence est manifeste ! Pour les tendances mode, je vais sur des blogs, et franchement, je me passe très bien de lire "Perdre 5 kg avant l'été !"

    Mais parfois, même la presse écrite est très "Le mooooonde va maaaaal ! Tremblez, pauvres gens"

  5. oh quel bel article. Oh comme il vise juste. Mais le mieux c'est la conclusion, qui explique pourquoi la première vague est tordue et pourquoi il y a une deuxième vague qui me ressemble plus. MERCI.

  6. Je crois que c'est ça qu'on appelle la déconstruction, non ? Le fait de déconstruire ses préjugés, ses réflexes clichés. Après tout notre société est sexiste, raciste, homophobe, etc. C'est assez logique qu'on ait intégré ces réflexes de pensée. L'important, c'est qu'on en soit conscient et qu'on les corrige.

  7. J'adore cet article et suis totalement d'accord avec les derniers paragraphes ! J'ai été très énervée par mes propres réactions le mois dernier en visitant une ville : d'abord en arrêtant un couple pour trouver mon chemin, j'ai interpellé (et interrompu !) la femme mais ai demandé conseil à l'homme ; puis en faisant la queue pour prendre mon bus, un type disait au revoir à son petit copain, lorsqu'il est parti après l'avoir embrassé je l'ai suivi du regard, car je me demandais si c'était une fille ou bien un garçon qu'il avait embrassé (!!)
    Étant féministe et pro-LGBT, j'étais vraiment étonnée par mes réactions. En effet ta théorie explique bien pourquoi nous avons parfois ces pensées qui ne correspondent pourtant pas 🙁 Merci

  8. Alors là, je ne suis pas d'accord: bitcher en pensées, ça soulage! Ça fait défouloir.
    Du moment que les gens ne sont pas blessés car même pas au courant,on peut bien se dire les pires saloperies!
    Déjà se tenir à un code de bonne conduite,ce n'est pas évident mais j'assume d'être moqueuse en loucedé,la Perfection,ce n'est pas moi!

  9. totalement d'accord ! moi aussi j'ai mes "convictions" qui se battent tous les jours contre mes "conditionnements" !

  10. Je sais pas trop pourquoi, mais après avoir appelé ma famille (saine et sauve, allélouhis, allélouya) à Nice, j'ai eu envie de te faire un gros et gras bécot du fin fion de mon ordinateur, en ce jour encore bien noir…alors voilà, au risque d'être couillonne, bah oui je te serre fort contre moi et t'embrasse, l'amour, même du fin fion d'un ordinateur, on en aura jamais assez!

  11. On est pas des anges Les humains sont assaillis de mauvaises pensées. On fait comme on peut pour les combattre; on fait comme on peut pour être une bonne personne. L'essentiel n'est il pas d'essayer ? Petit à petit, progressivement, on s'améliore 😉 Lylou

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