Les élans contenus

Avant-hier, je suis passée chez mon adorable fleuriste voir si elle avait encore des pivoines de la région (celles des Pays-Bas durent jusqu’en septembre, mais tant qu’à faire, j’aime mieux consommer local!). Il ne lui en restait que cinq. Je me suis demandé ce que je pourrais prendre pour compléter, et on a passé le contenu de son frigo en revue. J’ai fini par opter pour des oeillets rouges, et elle m’a offert une botte de mini-marguerites multicolores. Du coup, je me retrouvais avec assez de fleurs pour faire deux bouquets, alors que je n’ai qu’un vase. Je me suis dit: « Je vais porter l’autre à Solange, ça lui fera plaisir ». Puis j’ai hésité. Si ça se trouve, Solange n’a pas de vase. Et puis elle n’y voit presque plus; est-ce que ça ne serait pas un peu cruel de lui offrir des fleurs dont elle ne profitera pas? Du coup, j’ai renoncé et casé le deuxième bouquet dans la carafe en verre de Biot que j’ai payé un rein et dont je ne me sers jamais. 
Hier midi, j’ai préparé un clafoutis aux abricots, un machin énorme dans lequel il y avait moyen de tailler 8 bonnes parts. Je me suis dit: « Tu ne vas jamais manger ça toute seule, à moins de vouloir te nourrir de sucre pendant 3 jours ». J’avais rendez-vous chez mon adorable médecin pour qu’il me remette le dos en place, et j’ai pensé que j’allais lui en apporter un morceau pour son goûter. J’ai beaucoup de respect et même d’affection pour ce praticien qui me suit depuis quinze ans avec une empathie sans faille, et qui a le chic pour dédramatiser mes craintes sans jamais me donner l’impression qu’elles sont idiotes. Il pratique le tarif conventionné pour ne pas défavoriser les patients les moins fortunés, et il ne compte jamais son temps. Chaque début d’année, j’envisage de lui envoyer une carte de voeux pour le remercier d’être un médecin aussi fantastique, et chaque début d’année, je renonce de peur qu’il trouve ça déplacé. Là, même mon morceau de clafoutis, j’ai pas osé. Et s’il détestait les abricots? Et si ça le gênait plus qu’autre chose? 
Des bonnes intentions de ce genre, j’en ai à la pelle, et je ne les concrétise presque jamais par peur de mal faire – de piétiner des conventions sociales dont je n’ai pas conscience, de me ridiculiser ou de mettre le destinataire dans l’embarras. Je n’ose pas non plus faire de petits cadeaux au débotté de crainte que mes amis se sentent une dette, si minime soit-elle, envers moi. Je suis tellement nulle en rapports humains que je m’interdis toute initiative même bien intentionnée. Faute de réussir à me mettre à la place des autres, il me semble toujours que mon geste va être perçu de travers et provoquer un problème ou une réaction négative. Alors neuf fois sur dix, je m’abstiens, et la dixième, après avoir trouvé le courage de me lancer, j’ai tellement honte que je peux aller jusqu’à prendre mes distances avec la personne concernée – comme si je lui en voulais d’avoir fait spontanément un truc gentil pour elle. Ce qui est complètement débile, mais hé, je n’ai jamais prétendu avoir une intelligence émotionnelle très élevée. Ni même une intelligence émotionnelle tout court. 

11 réflexions sur “Les élans contenus”

  1. J'ai exactement le même genre de soucis. J'ai envoyé un mail à mon prof de formation, qui m'avait demandé une adresse, en lui mettant que l'année prochaine (comme on aura quelqu'un d'autre), il allait beaucoup me manquer…je n'ai eu aucune réponse, je continue de me sentir ridicule..
    A force, je n'ose plus faire de démarches vers les autres de ce genre….

  2. Dans ma tête, mon entourage croule sous les cadeaux… Des biscuits de Noël offert à tous les voisins, en passant par les fleurs offertes pour dire merci ou juste pour le plaisir, etc… Depuis que j'ai des enfants, ça va beaucoup mieux, parce qu'ils ne sont jamais gênés eux et sont toujours ravis.
    Mon dernier "cadeau" en date était un truc en broderie offert à ma prof de Yoga, juste parce que je l'aime beaucoup. Elle était touchée et m'a encore remercié par mail, mais moi, j'étais gênée du fait qu'elle se sente obligée de me remercier encore et encore, alors que son sourire en recevant le cadeau m'avais suffit. Je n'offre par pour être remerciée, mais parce que ça me fait plaisir.
    Je ne compte pas le nombre de fois où je passe devant des choses ou que j'ai envie de bricoler un truc pour les autres et que je ne le fais pas.
    Mais je crois que le pire pour moi, c'est de dire des trucs gentils (On ne pas rigole pas je vous prie). Quand je fais un compliment, que j'exprime mon admiration ou que je motive quelqu'un de manière positive, j'ai l'impression d'être complètement déplacée et je me sens tellement mal après, de peur que l'a personne ait mal interprété ou que sais-je…
    C'est vraiment bizarre de se sentir aussi mal pour quelque chose de si positif ^^

  3. Ne m'en parle pas… J'avais choisi "Donner" comme mot pour cette année, c'est un échec retentissant, je n'arrive même pas à envoyer des cartes d'anniversaire de crainte que les gens se disent "Flûte, moi je ne lui en ai pas envoyé pour le sien" et que ça les mette mal à l'aise.

  4. Oh. Ça 🙂 J'y songe souvent. Très souvent. Parfois, je saute le pas.
    Il y a quelques semaines, j'ai envoyé un message de gratitude à quelqu'un qui, sans le savoir, m'a beaucoup aidée sur un sujet très personnel. Les jours suivants, je n'ai pas eu de retour et j'ai tremblé intérieurement. Aujourd'hui, je n'ai toujours aucun retour spécifique là-dessus, d'ailleurs, mais au bout de deux ou trois jours la personne m'adressait la parole comme si tout était parfaitement normal. Elle ne m'en voulait donc pas à mort, merci d'arrêter tes stupidités, la petite voix qui persiflait que "si ça se trouve, tu as juste détruit votre amitié".
    En fait, chaque fois que je réprime quelque chose, c'est ma petite voix intérieure qui gagne après m'avoir soufflé "Tu vas avoir l'air tellement ridicule" ou un truc de ce genre. Et je n'aime pas lui laisser du pouvoir. Chaque fois que j'exprime, c'est parce qu'après (mûre) réflexion, j'ai fini par faire gagner le "Mais peut-être que ça va juste faire plaisir à la personne, et que ça sera un de ces petits bonheurs très simples qui illuminent la journée". Alors j'achète cette veilleuse licorne parce que c'est tellement fait pour H. ainsi que cette jolie boîte à thé qui plairait à Y., je note que L. adore ce chocolat pour une prochaine fois et n'hésiterai pas à faire un colis-surprise en cas de coup de blues, et je fais des petits pas dans le vide 🙂

    (Par ailleurs, faut-il te rappeler la fois où tu m'as envoyé un petit cadeau, juste parce que tu pensais que ça pouvait me faire plaisir, et que celui-ci est arrivé pile le jour de mon anniversaire ? :))

    Mélusine

  5. Mélu: y'a des gens avec qui je n'hésite pas trop parce que je suis à peu près certaine que ça sera reçu dans l'esprit où c'est envoyé 🙂 Mais je ne pensais pas que mon problème était aussi partagé…

  6. Si, si, il est partagé! Mais on ne devrait pas s'en réjouir, sans doute… J'ai souvent les mêmes craintes, mais j'essaye de me "soigner", en me demandant si ça me gênerait de recevoir ce cadeau/cette petite attention/ce compliment, et bien souvent la réponse est non, évidemment, donc il m'arrive de me lancer.
    Et pour être honnête, je cherche sans succès un exemple où une petite attention de ma part est mal passée…

    (Les compliments, c'est un autre vaste sujet, mais je suis aussi fortement handicapée de la réception de compliment – oui ça se dit sûrement. La personne qui m'adresse un mot gentil NE PEUT PAS le penser, c'est parfaitement évident, elle dit ça uniquement pour faire plaisir …
    Pfff, je m'auto-fatigue, parfois!)

  7. Je fais ça tout le temps aussi ! J'oscille entre manifestation franche et recul : et si on me prenait pour une imbécile, un pot de colle, etc. Ça vient en partie de l'expérience, en partie d'une peur. Malgré les apparences, j'ai l'impression que les peurs font partie des choses du monde les mieux partagées…

  8. Je me pose aussi souvent ce genre de question. Mais en règle générale, je saute le pas et le cadeau est accepté sans souci 🙂

    Dans le fond, il y n'y a pas de raison de ne pas être contente de recevoir un cadeau ou une gentille attention 🙂

    Solange n'est p-e plus en mesure de voir les fleurs mais bien d'apprécier une attention à son égard.

  9. Ah ben non, moi j'avoue j'offre à tour de bras, je dis je t'aime à mes collègues (deux sur 150 quand même, et c'était le lendemain des attentats, ne me faites pas enfermer), je mets les gens terriblement mal à l'aise en leur disant à quel point je les trouve merveilleux. Puis je leur dis "je vois que tu es mal à l'aise, mais tu es vraiment formidable". Je sais super bien mettre les gens mal à l'aise 😉
    Je me souviens avoir dit à mon chef "c'est une chose de dire "tu as fait du bon travail" et une autre de dire "je trouves que tu es une personne formidable", d'ailleurs j'en ai profité pour lui dire qu'il était formidable, parce qu'il l'est 🙂
    L'avantage c'est que quand je rencontre quelqu'un comme moi ? En 15 minutes on peut devenir ami pour la vie. L'inconvénient c'est qu'on me démolit de temps en temps le coeur parce que je ne me protège pas assez, mais bah, ça se refait au contact des autres 🙂
    Je crois que je tiens ça de ma soeur qui très tôt m'a dit à quel point elle m'aimait et combien j'étais importante pour elle. Probablement une des raisons pour laquelle je ne doute jamais de son amour et me sens si bien auprès d'elle.

  10. ANNESO dit:

    Ah mais c'est dingue comme tu décris bien ce que je ressens souvent: la peur de paraître déplacée,impolie,indiscrète ou simplement bébête alors qu'à la base,je voulais faire plaisir/un clin d'oeil/un geste etc
    J'envie les gens spontanés,natures,qui ne se posent pas 1000 questions qui les paralysent avant d'agir (et qui ne craignent pas de se louper parfois,du coup!).

  11. mamzellecarneto

    ET alors tu as mangé tout le clafoutis ? (je suis la plus concrète de tes lectrices, oups)

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