Les moulins à vent

Je ne voudrais pas m’avancer, mais je crois que la crise d’angoisse qui m’a pourri la vie ces derniers mois est terminée. J’avais eu une semaine de répit au moment de la visite de ma soeur à Bruxelles avant de rechuter assez sévèrement, mais là, je sens que je tiens le bon bout. Je n’ai plus mal au ventre et je retrouve le recul lucide qui avait totalement disparu depuis mi-février. Jeudi, j’ai même annulé le rendez-vous que j’avais pris avec mon généraliste pour lui réclamer des examens et/ou des anxiolytiques dignes de ce nom. 
Je ne suis pas certaine que quiconque se soit rendu compte à quel point j’allais mal. Les jours les plus difficiles, je n’osais pas prendre le métro parce que j’avais des visions de moi en train de me jeter sous un train juste pour que ça s’arrête. Je n’avais aucune envie de mourir, mais je n’en pouvais plus d’être enfermée dans ma tête avec toutes ces pensées qui me torturaient. Sauf qu’à l’extérieur, je me comportais normalement. Je ne pleurais pas; je ne restais pas prostrée. Bon, j’étais encore plus asociale que d’habitude et pas très loquace même à la maison, mais mon boulot était fait, mes corvées administratives et ménagères aussi. Je suis anxieuse, pas dépressive. Assurer le quotidien quoi qu’il arrive, c’est le seul moyen que je connais de ne pas me laisser couler. Quand je bosse sur un texte, mes idées noires sont suspendues pour quelques heures. Du coup, je suis extrêmement productive dans mes périodes de grande détresse. 
Et je n’en parle pas, ou très peu. Pourquoi faire? Ca ne me soulage pas, au contraire: ça donne encore plus de réalité à mes fantasmes morbides, et ça inquiète mon entourage. Même face à mon médecin, je n’arrive pas à mettre en mots le mal qui me ronge, ou plutôt, je n’arrive pas à prononcer ces mots. J’ai beau savoir que mon anxiété atroce n’est pas un défaut de ma volonté ou un signe d’auto-complaisance outrancière, je n’arrive pas à me défaire d’une honte paralysante vis-à-vis d’elle. Je mène une vie de super-privilégiée. Je n’ai AUCUNE raison de me plaindre. Si j’en avais, sans doute mon angoisse irrationnelle n’aurait-elle pas la place de se développer: je serais bien trop occupée à m’inquiéter pour des raisons concrètes, à lutter contre de vrais problèmes. Mes idées noires, c’est un peu comme les moulins à vent de Don Quichotte, un adversaire qui n’existe que dans mon imagination. J’ai fini de me battre contre eux pour cette fois. Mais je sais qu’ils reviendront.

10 réflexions sur “Les moulins à vent”

  1. Effectivement, je ne me doutais pas que tu souffrais à ce point, malgré les mots. Mais tu as l'air de marcher par cycle et d'avoir "besoin" de travailler sur toi et de gamberger à chaque fois pour revenir à ton état initial. En tout cas, je pense à toi même si ça ne sert à rien et te souhaite bien du courage – que tu as déjà.

  2. Quand tu avais peur de te jeter sous le métro, c'est de la phobie d'impulsion. Je connais car j'ai le même souci d'anxiété, sauf que dans mon cas, ce n'est pas étonnant que j'ai des problèmes, je n'ai pas du tout une vie facile. Il doit y avoir quelque chose que tu as vécu dans ta vie qui a déclenché ça. Ce n'est pas possible d'être anxieuse si tu as toujours eu une vie géniale. Enfin, je ne pense pas. N'as tu jamais pensé à l'hypnose? Perso, ça me fait du bien.

  3. Je n'ai pas dit que j'avais toujours eu une vie facile 🙂 Et l'hypnose et tous ses dérivés nécessitant un minimum de lâcher-prise ne fonctionnent pas sur moi.

  4. Une belle chose que cette crise se soit apaisée, tu n'y es probablement pas pour rien. Tiens ce bout et ne le lâche pas !

    J'admire ta façon d'assurer le quotidien peu importe les circonstances et je le note comme une façon de ne pas se laisser noyer par certains évènements.

    Les personnes parlent sans cesse de prise de recul ou de lâcher-prise, mais je ne trouve pas que ça permette d'aider à maintenir l'angoisse à distance. Après concrètement ces derniers temps, je me dis qu'il ne sert à rien de s'inquiéter pour des choses qui pourraient arriver. Cela paralyse et fait monter la pression sans avoir lieu d'être. Si elles finissent par arriver, elles seront gérées par notre futur nous qui s'en sortira comme jusqu'à présent.

    Et même en tant que super-privilégié(e), on le droit de se sentir mal ou d'aller mal ! Après je me posais la question du bénévolat à faire dans certaines structures, apporter aux autres pourrait-il être un moyen d'écarter nos tribulations internes tout en faisant quelque chose d'utile ?

  5. Si j'avais pu, je t'aurais gardé dans mes bras pour toujours ce jour là, j'avais le coeur tellement serré de te voir partir comme ça.
    J'ai eu une discussion très intéressante avec une psy cette semaine. Comme nous en avons déjà parlé, Mr E. est un angoissé et nous avons décidé de prendre les devants. La psy, donc, dans ce cadre là, a dit quelque chose qui a fait un gros déclic dans mon esprit. "Tout le monde a des angoisses, pas d'angoisses, ça n'existe pas. Certains ont juste trouvé les bonnes armes pour se défendre, d'autres non".
    Jusque là, j'ai toujours pris mes angoisses comme un dysfonctionnement, un truc dont je devais me débarrasser pour être "normale". Comme toi, j'estime que je n'ai pas à me plaindre, je fais partie des privilégiés, mes enfants vont bien, j'ai un toit sur la tête, etc… Je suis en constante recherche du "pourquoi je m'inflige ça", persuadée qu'aucune personne "normale" qui se trouverait dans ma situation oserait la gâcher comme je le fais.
    Mais en fait, j'ai tout faux. L'angoisse est une maladie, comme toutes les maladies, elle touche les pauvres, les riches, les gentils, les méchants… bref, ceux qui, à un moment donné de leur développement se sont retrouvé confronté à quelque chose qu'ils n'ont pas réussi à surmonter. Clairement chez moi, la séparation et l'abandon. J'ai quelques données qui me manquent pour achever mon développement dans ces domaines. Alors je vais tenter de combler ce manque pour essayer, de moi aussi, trouver les armes qui me permettront de surmonter mes angoisses et qu'elles soient gérables.
    Je te souhaite de pouvoir trouver tes armes. En attendant, je pense qu'il y a un canapé en Suisse, fort confortable, qui accueillerait volontiers nos fesses le temps d'une soirée pour qu'on en parle encore et qu'on se sentent moins seule. *câlin*

  6. Et là j'entends Christophe brâmer d'une voix aigrelette: "Et moi, je suis Sancho, Sancho Sancho son valet son fils son frère…"

  7. Moi quand je suis trop anxieuse j'ai vraiment du mal à gérer mon quotidien ce qui aggrave encore plus mes angoisses. Je deviens lente; la journée est passée et je n'ai pratiquement rien fait.

  8. J'imaginais Sancho moustachu mais bon. Je suis contente de savoir que tu refais doucement surface. Je propose qu'on fête cela, quand j'aurais aussi sorti la tête de l'eau; J'y travaille. Doucement.

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