Toulon sous hypocondrie

10h45, arrêt Champ de Mars. Ce n’était pas une idée fabuleuse de lire dans le bus; j’ai mal au coeur maintenant. Le rayon téléphones fixes de la Fnac fait 12 cm de large et propose royalement 6 modèles, mais bon, il faut vraiment que je remplace le mien. Puisque je n’ai pas encore réussi à voir « Les délices de Tokyo« , achetons le roman dont est tiré le film: ça fera une occasion supplémentaire de grommeler « Le livre était mieux ». Comment ça, ma Visa perso n’est pas dans mon portefeuille? Panique. J’ai dû l’oublier chez mon caviste hier après-midi, mais comment vérifier sans attendre, vu que je n’ai pas de smartphone et ne connais pas le numéro des renseignements de mon opérateur mobile? Idée géniale: son numéro doit figurer sur la carte de fidélité du magasin. …Qui est rangée bien sagement dans mon porte-cartes de fidélité, sous ma Visa perso que j’ai mise là par erreur en quittant le magasin. Ouf!

Etam n’a pas les shortys Gala que j’affectionne, mais je craque pour une paire de pantoufles lapins et rachète une culotte ventre plat sauveuse de silhouette. La parapharmacie de Mayol ne fait pas la marque Jonzac. Par contre, Boutique 112 a un bol à lunettes rouges, on dirait exactement moi! Remonter le cours Lafayette en passant entre les étals du marché plutôt que sur les côtés, malgré le nombre impressionnant de dames à fichu et caddie qui avancent à la vitesse d’escargots neurasthéniques. C’est l’un des endroits qui me rappelle le plus mon père, même si je ne me souviens pas l’avoir jamais accompagné quand il venait y faire les courses le week-end avec le grand panier en osier. Le stand d’olives embaume. Tout me fait envie, y compris les fleurs (des jonquilles!), mais je me vois mal les trimballer jusqu’à ce soir. Passage à la Vie Claire pour dépenser le bon d’achat gagné sur Facebook, et chez Contrebandes dont je ressors avec trois petits livres jeunesse.

Arriver à la Fabbrica di Marco, faire la bise à tout le monde, me poser à une petite table et entamer « Mrs. Bridge » en attendant l’arrivée de mes conchiglioni au four – une tuerie. « Comment tu fais pour ne pas avoir doublé de volume à cause de ta propre cuisine, Marco? » Soupir de l’intéressé: « Je fais beaucoup de sport ». Moi je n’en fais pas en ce moment, mais je me laisse quand même tenter par une panacotta au limoncello et son coulis de fraises fraîches en dessert. Faut pas que je trébuche en sortant, sinon je vais rouler jusqu’au bas de la rue… Dans la nouvelle boutique de déco un peu plus haut, craquer pour une assiette rouge en forme de poisson qui fera joli sur Instagram (oui, j’ai honte). La Poste Liberté ferme maintenant à 12h15 le samedi; l’envoi en recommandé du courrier incendiaire à ma banque attendra donc lundi. La parapharmacie du Palais ne fait pas non plus la marque Jonzac, damn!

Jetons un coup d’oeil à l’expo Jacqueline Salmon. Je n’étais jamais entrée dans l’Hôtel des Arts, c’est vraiment très beau. Tous ces petits traits pour visualiser le vent ont dû prendre des jours et des jours à tracer – enfoncé, Boulet. En arrivant au premier étage, où sont exposés les portraits de Toulonnais, la première photo que je vois dans la grande salle du fond face à moi, c’est justement celle de… Marco, mon restaurateur préféré. Il a pour voisins une femme capitaine de frégate, plein de Maghrébins, un professeur de japonais, une étudiante géorgienne, une mendiante sans doute éthiopienne mais l’artiste n’est pas sûre, une fille aux cheveux bleus, des piliers de terrasse de café, je me réjouis de venir d’une ville à la population aussi mélangée.

Quand je ressors, il est à peine 14h15 et je suis pleine comme une outre, je ne vais quand même pas aller me poser au salon de thé. Au Chantilly juste pour boire un verre, alors. Le serveur esquisse une ébauche de sourire et a un ton aimable pour une fois: ça doit être à cause du soleil et du ciel si bleu. Je devrais être hyper détendue, mais pas de bol, la semaine a été extrêmement angoissante et je n’arrive pas à sortir de mon tourbillon de pensées noires. Je promène mon regard sur les pages de mon livre, mais ce que je vois, en fait, c’est moi en train de dire adieu à tous mes proches après un diagnostic de cancer généralisé, six mois à vivre, autant zapper la chimio et en profiter jusqu’au bout, mes larme coulent dans mon thé glacé trop sucré, putain d’hypocondrie qui ressort chaque fois que je stresse, c’est comme un gouffre qui m’avale, j’ai l’air d’être là, je réponds aux questions, je souris, je plaisante alors qu’en fait, je suis en train d’escalader des parois vertigineuses du bout des ongles.

Je finis par ressortir pour descendre la rue d’Alger. J’entre chez Naf-Naf un peu au hasard, m’approche des blousons en cuir parce que mon perf’ Mango commence à vomir du fil de fer sur les bords et ne sera bientôt plus présentable. « Ils sont tous à 129€ en ce moment », m’annonce une vendeuse. En pilote automatique, j’essaie celui que me plaît, les manches du 40 me serrent trop les bras, par contre le 42 va bien (mais me vexe). Au Carré des Mots, je discute avec la vendeuse de René Frégni, un de ses amis écrivains dont je voulais acheter le dernier roman – mais il ne lui en restait qu’un exemplaire qu’elle a vendu hier. Tant pis. En remontant vers le boulevard de Strasbourg, j’ai l’idée de m’arrêter à la nouvelle parapharmacie Lafayette sur la place du théâtre: non seulement ils sont encore moins chers qu’à celle du Palais, mais ils font Jonzac, victoire!

16h15. Il est encore tôt mais je ne profite de rien, là, je vais plutôt rentrer. Rhâââ, mon bus qui arrive à l’arrêt Liberté alors que je suis encore sur la chaussée d’en face! Si le feu passe au rouge, je peux l’attraper… Le feu ne passe pas au rouge, et le prochain bus est dans 35 mn. Je remonte vers la gare: pour une fois, je vais m’offrir le TER qui me déposera à Monpatelin pile à l’heure où le prochain bus quitte la gare routière de Toulon, ça m’économisera presque une heure (et un nouveau mal au coeur). De toute façon, en ville ou à la maison, il n’y a que le décor qui change – moi, je suis ailleurs, prisonnière de mes angoisses.

5 réflexions sur “Toulon sous hypocondrie”

  1. Tiens, un post parfait pour faire écho à "Z comme Zesaisplustrop". Je suis triste d'entendre que tu es (ou que tu as été) dans cet état-là. Un grand hug virtuel, tu prends ?

  2. Je vois qu'on a encore un point commun…pourri,certes.
    Je le suis moins depuis que je suis devenue maman,mais je suis toujours autant capable de m'imaginer dans cette fameuse situation que tu décris malheureusement très bien. Ma maman est décédée quelques jours avant ses quarante ans de cette maladie. Comment faire face ?… J'ai pas encore trouvé…

  3. Je n'ai pas trouvé de remède miracle, juste des choses qui aident quand même pas mal: le yoga, la méditation, les exercices de cohérence cardiaque, la pensée positive… J'ai beaucoup moins d'attaques au fil du temps. J'en ai encore, mais je ne vis plus dans une angoisse constante comme à l'époque où je devais m'abrutir d'antidépresseurs pour arriver à fonctionner.

  4. Bah oui forcément la psychologie positive! J'ai lu que ça un temps… ah oui, ça a dû m'aider… Je commence à peine à réussir la méditation… des années que j'essaie!

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