Je vous présente ma dernière traduction.
A l’époque où mon planning de ce début d’année s’est brusquement vidé, j’ai paniqué un peu et fait savoir que je cherchais du boulot. Une éditrice et amie, qui avait besoin de faire traduire assez rapidement le tome 2 d’une série dont le traducteur du tome 1 n’était pas disponible à la bonne période, m’a envoyé un fichier .pdf pour que je voie si ça m’intéressait. J’ai parcouru quelques chapitres, trouvé ça sympa et dit OK. Je disposerais de quatre semaines pour traduire et relire 400 pages, ce qui était un peu chaud mais néanmoins jouable à condition de ne pas flâner en route.
Le contrat signé, l’éditrice m’a envoyé deux livres-papier: le tome 1 en français et le tome 2 en anglais. Je voulais bien entendu lire le tome 1 avant de commencer, pour me mettre au parfum, mais juste avant cette traduction-là, j’en avais bouclé une autre en très peu de temps aussi, et j’avais envie de souffler. Donc, au lieu de lire le tome 1 le week-end avant d’entamer la traduction du tome 2, j’ai reporté au week-end suivant, en me disant que si j’avais fait des erreurs dans le premier quart, je les corrigerais à la relecture.
La première semaine s’est très bien passée. Je suis rentrée tout de suite dans le style de l’auteur, je me sentais vraiment à l’aise. En plus, on devait garder le même contexte mais changer de personnage principal par rapport au tome 1, parce qu’on faisait vraiment la connaissance de l’héroïne, sa famille, son passé, ses motivations… Du coup, je me suis dit que comme le traducteur précédent avait établi un lexique, je pouvais sans doute me passer de lire le tome 1. Mais par conscience professionnelle, j’ai quand même voulu m’y mettre dès le vendredi soir, après avoir bouclé mon quota de pages pour la journée.
C’est là que je me suis aperçue que le .pdf sur lequel je bossais (le seul dont je disposais, puisque par ailleurs j’avais des livres-papier) n’était pas celui du tome 2 mais du tome 1. Dont je venais de retraduire inutilement le premier quart. Tu m’étonnes qu’on faisait vraiment la connaissance de l’héroïne…
Il me restait 3 semaines pour traduire et relire 400 pages. Et je ne pouvais pas réclamer de délai, parce que l’éditrice avait déjà accepté de mordre d’une semaine sur son temps de relecture pour me permettre de faire la traduction en premier lieu. Moi qui suis tellement attentive aux détails d’habitude, je ne comprenais même pas comment j’avais pu faire une boulette pareille.
Je me suis traitée de tous les noms d’oiseaux. Puis, au lieu de paniquer ou de me lamenter, j’ai mis au point un plan de bataille. J’ai redécoupé le texte en fonction du temps qui me restait, en faisant sauter les après-midi libres que je m’étais gardés pour boucler ma compta pro 2015 et remplir le dossier correspondant pour mon association de gestion agréée: je m’en occuperais le week-end, ou plus tard car j’avais un peu de marge. J’ai annulé tous les autres trucs que je comptais faire un jour de semaine pendant cette période-là – tant pis pour mes 10 000 pas par jour et mes promenades de santé. J’avais une boulette à rattraper, et une grosse.
La deuxième semaine, il faisait un beau temps d’hiver, froid mais sec et ensoleillé, ce qui me donnait très envie de sortir l’après-midi. J’avais énormément de mal à m’adapter au travail fait par le traducteur précédent: plusieurs termes importants de son lexique me chiffonnaient, mais j’étais obligée de les garder. Par ailleurs, le style que j’avais apprécié dans le (début du) tome 1 devenait ici franchement basique, avec beaucoup de répétitions et d’expressions vagues qui passaient en anglais mais pas en français, et quantité d’incohérences à corriger. Les boulettes de l’auteur venant s’additionner à la mienne – quel bonheur!
La troisième semaine, il faisait super moche, et j’avais très envie de passer mes journée à lire sous la couette avec un chocolat chaud. En plus, j’avais bien mal au ventre: j’ai d’abord cru que je couvais une gastro, mais au final, ce n’était sans doute « que » mon endométriose. Je tirais la langue un peu plus chaque jour devant mon ordinateur, mais arrivée au vendredi soir, j’étais toujours dans les temps.
La quatrième semaine, je me suis coincé un nerf sous l’omoplate droite en faisant des pompes (y’a pas à dire, le sport, c’est excellent pour la santé). J’ai tendance à traiter ce genre de bobo par le mépris, en me disant que ça passera tout seul, sauf que ça empirait au fil des jours et que je n’avais pas le temps d’aller voir un ostéo. Après avoir bataillé contre des incohérences de plus en plus tragiques, j’ai rendu ma traduction hier soir un peu avant 17h, en me retenant d’écrire dans le mail d’accompagnement à mon éditrice: « Je pense que ton homologue américaine était bourrée quand elle a signé le BAT ». Puis je suis partie boire des cocktails pour oublier.
J’espère qu’il va bien marcher, ce bouquin. Franchement, je l’ai mérité.
Merci de partager ici ta boulette, je me sens tellement mal quand j'en fais au boulot, ça fait du bien de me rendre compte que cela arrive aussi à des gens très bien! Je croise les doigts au succès de ta trad!
On fait tous des erreurs parfois, c'est humain! L'important c'est de les assumer et de faire de son mieux pour rattraper le coup 🙂
Oui, mais tu as eu chaud ! Imagine que tu n’aies pas relu le 1er… Tu as dû souffler un bon coup, à la fin …
Je croise les doigts aussi pour que le bouquin marche, tu l’auras mérité !
Sinon, tu es un peu cruelle, j’ai salivé devant la photo…
C'est marrant, je viens juste de feuilleter un livre sur les boulettes, celles qui se mangent, et je pensais que tu allais nous dévoiler une nouvelle recette de cuisine !
Oui, on en fait tous des boulettes et dans ces cas là, on se sent tout petit. Cela me fait penser à une fois où je livre une petite traduction à une cliente vers 17h, en me répondant elle me demande quand j'avais l'intention de livrer celle que j'aurais dû lui fournir en début d'aprem. C'était une période où j'avais pas mal de petits boulots de trois, quatre heures à faire et j'avais purement et simplement oublié celui là. J'étais invitée chez des amis ce soir, mon chéri y est allé sans moi et j'ai envoyé le fichier dans la nuit. Je peux dire que je me sentais pas bien et que je me suis platement excusée !
Profite bien de ce dimanche pour souffler !
<3 tu as fait de l'excellent boulot, d'autres auraient fait nettement moins bien, et avec davantage de délai. Je n'ai que deux mots à dire, merci et chapeau!
Ouf! J'avoue que j'étais un peu en apnée depuis vendredi soir et attendant ton verdict 🙂
Oh, j’ai souffert avec toi pendant la lecture.
Le nom du pdf était trompeur ou pas parlant, peut-être…
Je suis rassurée que ce soit fait et avec succès 🙂