Découpage

C’est un des moments que je préfère dans mon boulot, et pas juste parce qu’il survient dans la foulée de la remise de ma traduction précédente (toujours une grande source de satisfaction et de soulagement mélangés). Lorsque je me suis mise d’accord avec l’éditeur sur les termes du contrat, j’ai bien entendu calculé grosso modo le temps que je devrais passer sur la VO qu’il me propose. Je sais combien de signes français je suis capable de produire par jour en fonction de la difficulté d’un texte; je convertis ça en nombre de semaines et, s’il n’y a pas d’urgence, je rajoute une marge de 25% pour absorber d’éventuels imprévus. 
Mais à la veille d’attaquer une nouvelle traduction, je ressors mon calendrier, ma calculatrice et je note un chiffre précis de pages à traduire chaque jour. Je tiens compte de mes voyages en train, de mes autres obligations et, s’il y a moyen, je me ménage deux après-midi libres par semaine pour aller marcher, faire quelques courses, glander avec un bouquin dans un salon de thé, prendre des rendez-vous plaisir genre massage ou coiffeur. Je calcule quand je pourrai caser des séances de fitness si la motivation est au rendez-vous (péniblement deux fois par semaine, ces jours-ci). Si je suis à Bruxelles, je préserve mes week-ends pour faire des trucs avec Chouchou; si je suis à Monpatelin, je prévois de bosser le dimanche parce que ça n’est pas comme s’il y avait des masses d’autres occupations. 
Petit à petit, je vois se dessiner sous mes yeux les contours de ma tranche d’année suivante. J’aime bien quand elle est courte, parce qu’en matière de traduction comme pour le reste, je suis plus une sprinteuse qu’une coureuse de fond: passer très longtemps sur le même texte m’ennuie et fait chuter à la fois ma productivité et mon plaisir de travailler. L’idéal de mon point de vue, c’est un mois – le temps qu’il me faut pour traduire très peinardement un tome de « Pretty Little Liars » ou autre roman jeunesse de format standard. Deux mois, ça va encore; au-delà, je déprime d’avance. Bien que ce soit super mal payé, j’adore travailler sur des bédés parce qu’à chaque fois, ça me fait une sorte de récréation de deux ou trois jours. 
Hier, donc, j’ai attaqué un chouette stand alone pour ados: l’histoire d’une ado grosse et bien dans sa peau qui décide de participer à un concours de beauté. Ca me mènera jusqu’aux alentours du 10 décembre. Après ça, je consacrerai un autre mois bien rempli à un thriller, sans prendre de pause pour les fêtes car je n’aurai pas le temps. Puis encore un mois au tome 2 d’une série de fantasy jeunesse. Puis… je ne sais pas. J’attends des nouvelles de plusieurs projets. Il y a dix ans, mon planning était plein un an voire un an et demi à l’avance; maintenant, j’ai de la chance quand je sais ce que je vais faire trois mois plus tard. Ce n’est pas du tout agréable mais c’est comme ça, et je tente de m’adapter avec zénitude à cette insécurité grandissante. Me concentrer en détail sur ce que je vais faire pendant la période où j’ai du boulot assuré m’aide pas mal. 

6 réflexions sur “Découpage”

  1. Je travaille dans la traduction technique et commerciale depuis près de 10 ans, et si j'ai des boulots récurrents, en général je n'ai pas de visibilité d'une semaine sur l'autre – mais ça marche, hein, j'en vis correctement, plus ou moins bien selon les années (et d'autres traducteurs freelance vivent différemment)… Je comprends que passer d'un an et demi à trois mois de visibilité puisse faire un choc, mais en comparaison avec mon propre agenda, trois mois, ça semble beaucoup !

  2. Ah oui je comprends mieux comment tu fais pour organiser boulot, petites sorties détente et voyages. Joli ! Perso, en tant que freelance, ma visibilité dépasse difficilement deux semaines (et même plutôt une) et tout peut changer d'un jour sur l'autre… Donc pour prévoir… Heureusement que je n'aime pas voyager 🙂

  3. c'est compliqué de ne pas pouvoir se projeter vraiment…
    je ne fais pas du tout le même boulot mais c'est un peu pareil, je dois l'attendre à tout moment que les enfants que je garde change de nounou pour x raisons, c'est très précaire….

    bizzz

  4. Ça, c’est de l’organisation (et je comprends que tu aimes faire ça).
    Par contre, je pensais naïvement que dans l’édition, on était pris sur 6 mois minimum sur le même projet. Hinhin.
    D’ailleurs, comment es-tu rémunérée pour la BD ? Par feuillet, ça marche ?!

    Pour ma part, c’est comme Sabine. Je sais qu’il y aura un flux continu de travail, je ne sais juste pas pour qui et pour quand (enfin si : la veille). Je n’ai pas trop de mal à m’organiser, de toute façon, je n’accepte pas un projet si c’est pour le finir en catastrophe. Mais au début, ça me perturbait de sauter d’un projet à un autre, donc je recherchais les gros projets. Aujourd’hui, les choses se sont plus stabilisées et j’ai trouvé mes marques. Le maximum que j’aie fait, c’est un mois sur le même gros projet, et encore, je prenais d’autres commandes annexes pour ne pas mourir d’ennui.

    PS : bon courage pour l’AG des copros 😉
    PPS : joli agenda

  5. Pour la bédé, en général, on me propose un forfait qui dépend du nombre de pages mais aussi du nombre et de la longueur moyenne des bulles de texte. A cause des contraintes de place, sachant que le français est bien plus long que l'anglais, c'est parfois toute une gymnastique pour produire une phrase convenable, ça peut prendre trois fois plus de temps que de traduire le même texte dans un roman, alors que c'est genre trois fois moins bien payé à volume comparable…

  6. (Pour te donner une idée plus concrète: pour le dernier tome en date des Légendes de la Garde, j'ai reçu un à-valoir brut HT de 500€, ce qui est ridicule au regard du temps passé dessus.)

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