Hier soir, je bouquinais paisiblement sur mon canapé quand, à la limite de mon champ de vision, j’ai cru voir un éclair brun traverser mon tapis. J’ai poussé un petit cri étranglé et mis quelques secondes à jeter un regard prudent à la ronde. Pendant les dix minutes qui ont suivi, je me suis convaincue que j’avais halluciné, que mon imagination me jouait des tours.
Puis une petite souris est tranquillement sortie de derrière le comptoir de ma cuisine, est restée plantée sur le carrelage blanc deux ou trois secondes histoires de bien s’assurer que je l’avais repérée, et a de nouveau battu en retraite hors de ma vue. Je pense avoir poussé un gémissement dans un registre sonore habituellement réservé aux chauve-souris.
La bestiole a réitéré son manège encore deux fois, tout tranquillement comme si elle me narguait. A ce stade, pour éviter un incident cardiaque qui n’aurait été découvert que lorsque les voisins, alertés par l’odeur de décomposition émanant de mon appartement, se seraient décidés à appeler les pompiers, j’ai jugé préférable de battre courageusement en retraite dans ma chambre en mezzanine où s’est engagé un passionnant débat intérieur.
Ma Raison: Oui, parce que monter quelques marches va suffire à te mettre hors d’atteinte. Au-delà du deuxième étage, c’est sûr, l’air deviendra trop rare pour ce monstre redoutable.
Ma Panique: Ta gueule. Je vais m’enrouler bien serré dans le drap, tête y comprise; comme ça, elle ne pourra pas me mordre et me refiler la Peste Noire.
Ma Raison: Tu as raison: le monstre redoutable a très probablement déclaré une vendetta personnelle contre tes orteils. Mieux vaut encore t’empoisonner au monoxyde de carbone, ce sera plus rapide et moins douloureux.
Ma Panique: C’est… c’est quoi ce bruit de meuble déplacé que j’entends à l’étage de dessous?
Ma Raison: Certainement pas un voisin peu respectueux de la tranquillité des autres. Je penche plutôt pour un rongeur élevé au Banania et salarié chez les Déménageurs Bretons.
Ma Panique: Moque-toi. Je te signale que si on se fait grignoter dans notre sommeil, tu y passes avec moi.
Ma Raison: Pour qu’il y ait sommeil, il faudrait déjà que tu te décides à t’endormir. Tu t’es couchée avant minuit, et là, on approche des 2h30 tellement tu gamberges. Tu penses qu’une nuit blanche va améliorer ton jugement déjà si affûté?
Ma Panique: M’en fous, demain matin, je sors les pièges que j’avais achetés en juin.
Ma Raison: Pourquoi pas maintenant? Si ça pouvait te convaincre de nous laisser fermer un oeil…
Ma Panique: Tu veux que je lise un mode d’emploi d’au moins 3 lignes AU BEAU MILIEU DE LA NUIT?
Ma Raison: *gros soupir*
Ma Panique: …Putain, faut que j’aille faire pipi.
Cette nuit-là, j’ai dû descendre aux toilettes pas moins de quatre fois, les pieds chaussés de pantoufles d’hiver en moumoute rose vif, en allumant toutes les lumières de l’appartement, en jetant des regards soupçonneux autour de moi, en dévalant les marches de la mezzanine et en courant dans le couloir (bien fait pour le voisin du dessous) à l’aller comme au retour.
Ce matin, j’ai sorti un piège, lu le mode d’emploi, glissé un bout de Lindt noir à la fleur de sel dans le fond (apparemment, le bon vieux gruyère ne fait plus recette: il faut utiliser du chocolat ou du beurre de cacahouète!) et installé le tout au pied du comptoir de ma cuisine. Puis je suis partie chez le dentiste en priant pour retrouver le piège vide à mon retour: je n’avais aucune envie de devoir le trimballer bien fermé jusqu’à 400 mètres de chez moi pour pouvoir relâcher son contenu gigotant sans risque qu’il revienne aussitôt.
Quand je suis rentrée de chez le dentiste, le piège était vide. Je me suis enfermée dans mon bureau pour commencer à bosser sur le MOOC The Science of Happiness qui démarrait aujourd’hui. Quand je me suis prudemment aventurée jusqu’à la cuisine pour dîner, le piège était vide. Je suis retournée dans mon bureau, j’ai skypé avec Chouchou et commencé à rédiger ce billet. Et au moment où j’allais conclure que le piège était toujours vide et que j’espérais qu’il le resterait, j’ai entendu un premier petit bruit sec, suivi par une série d’autres petits bruits plus frénétiques. Je me suis dit: « Merde, elle est dedans ».
Je me suis approchée de la cuisine sur la pointe des pieds. Oui, elle était dedans. J’ai pris une photo de loin. Puis je me suis accroupie avec un peu le coeur dans la gorge, et je me suis forcée à la regarder. Elle était… minuscule, plutôt jolie et complètement affolée. J’avais lu qu’il ne fallait pas laisser les souris trop longtemps dans ce genre de piège, car le stress pouvait les tuer, ou bien elles pouvaient réussir à ronger le plastique pour se libérer. Je n’ai pas pris le temps de me changer: j’ai juste enfilé les premières chaussures qui se présentaient, soulevé le piège très délicatement en coinçant la porte avec mes doigts, et je suis sortie dans les rues obscures de Monpatelin à 21h45, en pyjama corail et bottines léopard.
J’ai fait deux fois la distance prescrite, juste au cas où, et aussi parce que je ne voulais pas relâcher la bestiole trop près d’une autre habitation. Arrivée en bordure d’un champ, j’ai posé le piège par terre et j’ai soulevé la porte. La souris a mis quelques secondes à se rendre compte qu’elle pouvait sortir. Puis elle s’est retournée, a hésité un instant sur le seuil du piège et détalé d’un coup – sans même emporter mon bout de Lindt noir à la fleur de sel, l’ingrate. Les fourrés ont bruissé sur son passage. Après, le calme est revenu, et je suis rentrée chez moi avec mon pyjama corail, mes bottines léopard et mon piège vide qui avait rempli son office.
Je n’ai plus aussi peur des souris.
Mais quand même, je vais remettre le piège en position dans la cuisine, juste au cas où Minnie Mouse aurait des frangines dans le coin.
J'aime beaucoup ton récit. Je n'ai pas très peur des souris (moi c'est les araignées) mais ces sales petites bêtes rongent des trucs, donc pas question de les accepter. Et oui, mets encore le piège: il peut y en avoir d'autres, ça se reproduit vite. L'an dernier j'ai dû faire face à une invasion de punaises de lit : j'ai cru devenir folle, et un an après, j'ai toujours peur qu'il y ait des survivantes cachées (elles peuvent vivre un an sans se nourrir ; de notre sang, l'ai-je précisé?). Je comprends donc tes angoisses nocturnes. Je me sentais chassée de chez moi, j'envisageais de déménager ou de brûler la baraque! Les souris, dehors!
Bravo à Bravoure, qui semble en fin de compte avoir triomphé 🙂
J’aime bien les souris mais je bondirais quand même si j’en voyais une passer me dire coucou dans mon appart’. Quant aux chats, je crains soit qu’ils ne soient soit tétanisés soit qu’ils fassent un massacre 🙁 (avec les araignées, moins de remords)
j'adore comme tu racontes cette petite histoire. Moi aussi j'ai peur de ces bestioles, toutes mimis soient-elles lol
bizz
@Tasha: les punaises sont effectivement très difficiles à éradiquer car elles n'ont pas de prédateur en Europe. elles n'aiment pas le vétiver : en mettre sous les matelas par exemple
"en pyjama corail et bottines léopard". Je ris 🙂 La souris devait être au moins aussi paniquée que toi, je crois… Mais c'est chouette d'avoir réussi à affronter ta frousse ET de ne pas l'avoir massacrée (la souris, pas la frousse).
Disons qu'il y a eu plus de peur que de mal et qu'on s'en est bien tirées toutes les deux 🙂
J'ai failli ne pas lire ton billet tellement j'avais peur que tu l'aies tuée ! Je suis heureuse de savoir qu'elle a retrouvé la liberté, seine et sauve. J'adore les petites souris !
J'ai passé des soirées à essayer (en vain) d'en sauver des griffes (ou plutôt des pattes et des mâchoires) de mon chat…
En plus, les souris, comparées aux mulots, c'est super intelligent et intéressant ! Si si !
Je suis soulagée que vous vous en soyez sorties toutes les deux. Et c'est chouette ce piège qui ne tue pas, j'aurais été triste de voir le petite bête tuée. Après, je ne crois pas que je serais aussi clémente avec une araignée D: .Sinon, comme tout le monde l'a déjà dit, très chouette récit ^_^.