« Sense8 »: Vous n’êtes plus seulement vous-mêmes

A Seoul, Bombay, Nairobi, Berlin, Londres, Chicago, Mexico et San Francisco, quatre hommes et quatre femmes ordinaires, que rien ne reliait jusque là, sont simultanément frappés par la même vision brutale. Sans s’expliquer pourquoi ni parvenir à maîtriser ce phénomène, ils commencent à partager leurs sensations et leurs vécus respectifs. Et comme si ce n’était pas assez déboussolant, une organisation mystérieuse tente de s’emparer d’eux…

« Sense8 » est une série produite par Netflix, dont la première saison de douze épisodes est disponible depuis début juin. Sortie de l’imagination des Wachowski, elle reprend avec brio le thème de l’empathie et de la connectivité qu’ils avaient déjà traité de manière ambitieuse (mais un poil chiante) dans leur film « Cloud Atlas ». Ici aussi, la science-fiction sert de prétexte à explorer le thème de l’humanité; ici aussi, l’intelligence de la réflexion n’empêche pas la présence de scènes d’action très spectaculaires à la « Matrix », rendues d’autant plus originales par le fait que les Sensates peuvent intervenir dans la vie les uns des autres et qu’en situation de crise, ils font généralement front à plusieurs.

Pour le reste, le rythme de la narration est très lent – principal reproche adressé par les spectateurs n’ayant pas accroché au pilote. Entre deux explosions de violence, la série tisse son univers émouvant à coups de rencontres improbables entre deux solitudes séparées par des milliers de kilomètres, de scènes de groupe magiques portées par un choix musical particulièrement judicieux. Les Wachowski ont bénéficié de moyens financiers importants qui leur ont permis de tourner réellement aux neuf endroits où est censée se dérouler leur histoire: les huit cités précédemment, plus l’Islande. Ils ont également su s’entourer de comédiens tous parfaits dans leur rôle, capables d’apporter la force et la fragilité inhérentes à chacun des personnages:

– Nomi, née Michael, est une hackeuse transsexuelle en couple lesbien et biracial.
– Lito, célèbre acteur de télénovelas, dissimule son homosexualité de crainte qu’elle ne lui coûte sa carrière.
– Will, policier comme son père avant lui, est hanté par la disparition inexpliquée d’une de ses camarades d’enfance.
– Riley, DJ en vogue, ne se remet pas de la tragédie qui lui a fait fuir son Islande natale.
– Wolfgang, cambrioleur qui opère en duo avec son meilleur ami, a été poussé sur la voie du crime par une histoire familiale violente.
– Capheus, conducteur de bus et grand fan de Jean-Claude Van Damme, ne sait plus comment s’y prendre pour procurer des médicaments à sa mère atteinte du Sida.
– Kala, étudiante en pharmacie pour qui la science et la religion ne sont nullement incompatibles, se demande si elle doit épouser son fiancé merveilleux mais dont elle n’est pas amoureuse.
– Sun, femme d’affaires le jour et championne de kickboxing la nuit, a promis à sa mère mourante de veiller sur son père et son frère bien qu’ils la méprisent parce qu’elle n’est qu’une femme.

Pour certains, ce casting est une accumulation de clichés racistes choquants. Je n’y ai vu que des archétypes certes pas très subtils, mais qui servent à étoffer l’universalité du propos – et surtout, que l’on oublie très vite tant les personnages sont intéressants et/ou attachants. Leurs histoires individuelles se font écho d’une manière qui permet d’explorer mains sujets douloureux, notamment les rapports familiaux (des plus dysfonctionnels aux plus touchants) et la façon dont ils modèlent une existence. J’ai également beaucoup apprécié l’importance accordée à la notion de genre, et la mise en scène de la sexualité comme quelque chose de bien plus fluide que ne l’imaginent la plupart des gens.

Mais surtout, j’ai aimé le message qui sous-tend chacune des scènes, des plus brutales aux plus sereines, des plus poignantes aux plus hilarantes: l’évolution positive de la race humaine passera par l’empathie. Nous serons sauvés de la solitude, de nos drames personnels et des Grands Méchants non par notre propre force, mais par notre capacité à connecter avec autrui, par notre volonté d’oeuvrer tous ensemble à la résolution des problèmes qui se présenteront à nous individuellement ou à l’ensemble de notre communauté. La philosophie peut sembler un peu simpliste, mais mise en scène par les Wachowski, je vous jure qu’elle est aussi belle qu’inspirante – à tel point que pour moi, elle relègue l’aspect « conspiration » de l’intrigue assez loin à l’arrière-plan.

J’aurais encore beaucoup de choses à dire, notamment sur les scènes les plus marquantes (drôles/jouissives/émouvantes) de cette première saison, ou encore les relations privilégiées qui se nouent entre certains des héros, mais je m’en voudrais de déflorer « Sense8 » aux anti-spoilers. Alors, je vais juste conclure en disant que les Wachowski ont prévu de boucler leur histoire en cinq saisons (non, « Sense 8 » ne sera pas un second « Lost » qui ne sait pas où il va), dont la deuxième et la troisième sont déjà signées. Mon impatience d’être en juin prochain n’a d’égale que ma crainte que la série ne parvienne pas à soutenir un niveau pareil jusqu’au bout.

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1 réflexion sur “« Sense8 »: Vous n’êtes plus seulement vous-mêmes”

  1. J'adore vraiment cette série et comme toi, j'ai hâte de voir ce qu'ils vont en faire par la suite ! C'est rare que j'ai un coup de coeur pour une série et encore plus rare que je finisse une saison d'une traite mais celle-ci m'a complètement happée 🙂

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