Où je découvre que j’ai le registre émotionnel d’une barbare – merci, Pixar!

Hier, donc, Chouchou et moi sommes allés voir « Inside out » – « Vice-versa » en français, titre qui n’a absolument rien à voir avec la choucroute et encore moins avec le film qu’il est censé désigner, mais passons. Sans surprise, le dernier Pixar est un dessin animé très intelligent, à la fois drôle, émouvant et instructif, qui plaira aussi bien aux petits qu’aux grands. Sa géniale idée de base consiste à mettre en scène sous forme de personnages les cinq émotions majeures qui dictent le comportement des gens: la Joie, la Tristesse, la Peur, la Colère et le Dégoût. Le film parle de construction de la personnalité et de structure de la mémoire; il illustre le fonctionnement et les limites de la psychologie positive, le tout d’une façon ludique et digeste. Bref, une grande réussite. 
Bien entendu, à la sortie, je n’ai pas pu m’empêcher de m’interroger: qui est aux commandes dans mon QG à moi? Quelles sont les émotions qui me gouvernent? J’ai beau tourner et retourner la question dans tous les sens, je n’en vois que trois: la Gratitude (qui est une version un peu plus calme et plus stable – plus mature, disons – de la Joie), l’Angoisse et la Colère. Parfois la première et la deuxième cohabitent bizarrement; parfois la deuxième et la troisième font équipe. C’est à peu près tout. En gros, j’ai le registre émotionnel d’une barbare. Ma Tristesse, je l’ai étouffée sous un oreiller depuis belle lurette: trop douloureuse, impossible à gérer. 
Quand nous sommes sortis du cinéma, je me suis arrêtée pour donner une pièce à un SDF. Il a levé vers moi des yeux bleus très clairs et un sourire rayonnant, et dans un mauvais français, il m’a dit qu’il prierait Dieu de me bénir parce que j’avais bon coeur. Franchement, ça m’a donné envie de foutre des coups de pied dans les murs et de mettre le feu aux façades. Comment, pourquoi y a-t-il de nos jours des gens contraints de mendier à genoux – à genoux, putain – sur les boulevards d’une grande ville riche comme Bruxelles? Si je commence à m’attrister, je n’en finirai jamais de pleurer sur les malheurs du monde. Je préfère nourrir ma rage, même si elle n’est pas nécessairement plus productive. 
Je ne m’autorise pas plus à être triste qu’à me montrer vulnérable. La Tristesse, quand j’étais encore capable d’en éprouver, me ravageait dans des proportions insoutenables, à me donner envie de me jeter par la fenêtre pour la faire voler en éclats. Je lui préfère la Colère, plus sombre mais plus énergique, qui pousse vers l’avant au lieu de clouer à terre. C’est d’ailleurs le seul trait que je partage avec Anita Blake, l’héroïne flingueuse et impitoyable d’une des séries que je traduis. Pas d’attendrissement inutile: il me faut des actes. Des flammes qui purifient plutôt que des larmes qui noient.
(Si vous n’avez pas vu le dessin animé et que vous ne voulez pas être spoilé, arrêtez-vous de lire ici.)
Pourtant, dans « Inside out », c’est la Tristesse qui sauve tout à la fin, en poussant la jeune héroïne à baisser ses défenses pour révéler à ses parents combien elle est malheureuse, et donc leur permettre de l’entourer et de l’aider. J’étais prête à concéder qu’il y avait peut-être quelque chose à apprendre de « The Art of Asking« , le mémoire d’Amanda Palmer qui traite essentiellement de vulnérabilité. Mais si Pixar se mêle aussi de me donner des leçons de vie, où va-t-on? 

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7 réflexions sur “Où je découvre que j’ai le registre émotionnel d’une barbare – merci, Pixar!”

  1. Je l'ai vu samedi. Touchée aussi. Chez moi c'est Colère qui est aux abonnés absents…

  2. Où va-t-on? Vers du bon,du beau,du bio 😀 bon,là c'est une boutade mais pas tant que ça finalement.
    Je suis aussi abasourdie/triste/fâchée/etc de constater qu'à notre époque si riche il y a des gens si pauvre pécuniairement, mais qui pourraient donner des leçons de vie et de bonheur à tellement de monde si complaisant.
    Bizzz Nad 🙂

  3. SandradeHannut(anciennementdeBruxelles)

    Nous sommes allés le voir hier … mon fils de 10 ans l'a trouvé trop triste, moi je ne l'ai pas aimé(mais je suis super difficile pour les disney/pixar)et HOM l'a trouve super mais il aime ++ les films d'animations

  4. Hello, je crois que chez moi, ils sont trop nombreux et c'est la pagaille là-dedans. (Colère, tristesse, joie, espoir, angoisse, peur, dégout)

  5. Je viens de le voir avec les enfants. Je pensais que c'était une bonne chose d'y emmener mon fils (8 ans), vu qu'on est en plein déménagement et qu'il a eu du mal à accepter cette décision (séparation avec les amis, perte de ce qu'il aime ici, etc), mais de toutes façons il semble avoir passé le premier cap… et au final il a adoré le film ! En tous cas, ça nous fera une bonne base de discussion si besoin ( oui, un petit garçon de 8 ans et demi, ça commence à avoir l'expression pudique…).
    La petite n'a pas tout compris, à 5 ans… mais a tenu le coup sans problème (à quelques larmes près).

    Non, c'est moi qui ai été le plus remuée, au final… Il va peut-être falloir que je travaille encore un peu sur mes émotions !

    En tous cas, l'idée de base est vraiment intéressante, et j'aurais adoré que ce soit encore plus fouillé…

    Et j'ai adoré la fin, avec l'arrivée de la nouvelle console, si vous voyez ce que je veux dire… ^^

  6. Je l'ai enfin vu avec ma fille de 6 ans, c'était d'autant plus judicieux qu'elle est en proie à des questions existentielles et angoissantes ces derniers temps (portant aussi bien que sur les devoirs qu'elle aura en CP que sur la crainte de la mort…)et à des crises de colère aussi subites que spectaculaires (on se régale).
    Bref, elle a beaucoup aimé, s'est montré très réceptive, et je peux reparler avec elle plus facilement de ses émotions et de ce qui l'agite.
    Quant à moi j'ai adoré! j'ai trouvé la représentation de notre psychisme et de nos ressentis extrêmement claire et inventive. Et j'ai été vraiment touchée par ce que ça dit des renoncements inévitables pour construire d'autres pans de notre personnalité d'adulte, ce qu'il est important de consolider dès l'enfance et de conserver…Contrairement à toi je suis pas mal connectée à ma Tristesse ; c'est surtout Colère que je vois comme une menace pour mon équilibre (elle est mise à rude épreuve vu que je bosse auprès d'ados "incasables" et que j'ai deux petites filles parfois bien rock'n'roll/ et qu'on vit dans un monde de dingues…)

    Bon j'arrête là mon pavé ! Bon dimanche 🙂

  7. J'attendais impatiemment la sortie de ce film sur le territoire germanique ! nous venons de le voir avec les enfants ( 10 et 12 ans) et j'ai adoré et eux aussi.

    J'ai pleuré,la tristesse prend facilement ses aises chez moi mais ne s'installe jamais longtemps. La joie est coriace et refuse de laisser les autres lui pourrir la vie trop longtemps, le dégoût ne s'exprime que sporadiquement. La peur rencontre une oreille attentive , on fait oui oui pour qu'elle sente écoutée , mais on ne suit pas ses conseils de timorée, quant à la colère , on essaie de la canaliser pour pas qu'elle nous fasse faire n'importe quoi..

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