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Quand on se met à son compte, on se dit « Chouette, je vais pouvoir organiser mon emploi du temps comme je veux! ». Aller chez le docteur ou faire ses courses en décalé avec le reste du monde, se ménager des week-ends en amoureux et des vacances impromptues, ne rien glander les jours où on ne le sent pas, quitte à mettre les bouchées doubles plus tard…
En fait, au début, on est tellement paniqué à l’idée de ne pas avoir assez de boulot qu’on accepte tout ce qui se présente, et souvent, on se retrouve à trimer deux fois plus qu’un salarié. Pendant les 7 premières années de ma carrière de traductrice littéraire, j’ai bossé 12h par jour, 6 jours par semaine, 51 semaines par an. J’ai fini par mettre la pédale douce quand j’ai commencé à bien gagner ma vie et à me sentir un peu plus en sécurité. Aujourd’hui, j’ai un rythme de travail assez peinard, avec un planning connu plusieurs mois à l’avance qui me permet de m’organiser pour ne jamais être à la bourre tout en me ménageant un après-midi libre par semaine (mon RTT à moi!).
N’empêche que, même quand je peux me permettre de me reposer, j’ai du mal à faire taire la petite voix culpabilisante qui me traite de glandeuse, qui me souffle que ça n’est pas bien normal d’être en train de bouquiner au salon de thé à 15h un jour de semaine et que je ferais mieux de travailler autant que possible pour mettre de l’argent de côté en prévision du jour où le boulot se tarira. Cette voix, c’est je crois un peu celle de mon père qui avait une nature encore plus angoissée que la mienne et qui a été fonctionnaire toute sa vie. J’ai beaucoup de mal à la faire taire.
Mais j’ai appris à l’ignorer. Par exemple, vendredi dernier, j’ai rendu une traduction de 330 feuillets que j’avais expédiée en deux semaines et demie, après 3 mois à plancher sur un bouquin pénible. Depuis début janvier, je n’avais guère pris que trois jours de congés pour le week-end de mon anniversaire, et… j’avais sérieusement envie de souffler. Besoin, je ne sais pas: je fais partie des gens qui pensent que tant que tu n’as pas 42° de fièvre et les deux bras dans le plâtre, tu es apte au boulot. Mais envie, ça oui. Et je pouvais me permettre une pause, car je suis très large sur la date de rendu de ma prochaine traduction.
Du coup, cette semaine, je n’ai rien fait de productif. J’ai profité du soleil pour mettre en oeuvre mes résolutions de promenades en ville. J’ai longuement farfouillé chez Sterling Books et Waterstone’s. Je me suis fait plusieurs déjeuners en terrasse, un vrai bonheur. J’ai bricolé une surprise maison pour l’anniversaire de Chouchou (en plus de son cadeau que nous irons acheter ensemble demain). J’ai lu un roman tous les deux jours. Je suis allée me faire masser par le divin M. Oh. J’ai timidement commencé mon fameux projet dessiné. J’ai trié ma garde-robe d’hiver, et je me suis offert une nouvelle robe d’été en coton turquoise imprimé de nuages.
Et oui, j’ai culpabilisé, mais ça ne m’a pas gâché mon plaisir.
Disons que tu rattrapes le temps « perdu » pendant les 7 premières années 🙂
D’ailleurs, tu t’attendais à tout ça en te mettant à ton compte (je me rappelle que tu fuyais un travail horrible aussi) ?
Autrement, tu n’es pas 3615 FREELANCE, mais je m’inquiète dans le sens inverse… Je lis tellement souvent des freelances bien établis, bien réputés, dire qu’ils ont ENFIN une semaine complète de vacances alors que ça va faire 3 mois pour moi et que j’ai l’impression de me la couler douce… Je prends facilement une demi-journée par semaine, je travaille de 9 à 18h en général (un peu plus ces temps-ci) et côté finances, ça me semble aller. Certes, vu que je veux rester auto-entrepreneur cette année, j’ai un plafond à ne pas dépasser, mais je commence à me demander si je ne fonce pas trop droit au mur o_o
Le tout, comme toi, avec des parents bien contents que je sois (encore) plus dispo pour eux mais me disent continuellement de travailler plus… et gagner plus. God.
Je suis comme toi, mais avec un effet pervers en plus : je m'aperçois que si je ne croule pas sous le boulot et/ou si je n'ai pas de deadline proche, j'ai beaucoup plus de mal à m'y mettre.
J'ai passé janvier, février et mars à bosser 6 à 7 jours par semaine plus les soirs pour rattraper le mois de retard pris pendant l'hospitalisation de la Crevette, et j'ai quand même culpabilisé en levant le pied. Je n'ai "qu'une" trad pour début juillet pour l'instant, et je sais que d'autres trucs vont tomber, mais comme rien n'est encore concret, je me laisse (un peu trop) vivre.
Sur ce, je te laisse, j'ai rendez-vous pour une expo.
Tu t'inquiètes parce que tout va bien? ^_^ Non mais le pire, c'est que je comprends. Payes-tu déjà toutes les pleines charges d'une activité freelance? Quand j'ai commencé, je n'ai rien versé pendant un an voire un an et demi pour certains trucs, et le jour où mes premières cotisations Agessa sont tombées, j'ai eu un poil envie de me pendre… Si tu as déjà trouvé ton rythme de croisière, tant mieux pour toi! Je pense que ça dépend des secteurs, et aussi du fait d'avoir déjà un réseau de clients potentiels ou pas. Et puis j'étais très peu payée à mes débuts, je devais traduire deux livres de poche par mois pour m'en sortir, d'autant que mon compagnon de l'époque ne bossait pas. Bref, il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte et pas qu'une seule manière d'être freelance 🙂
Oh je comprends bien ça aussi… Je suis souvent très stressée quand je n'ai pas de boulot même si la plupart du temps, c'est parce que je suis en attente du matériel que le client doit m'envoyer. Mais c'est ne pas savoir quand ça va arriver qui me stresse, je crois. Et vu que mon planning est plutôt du genre à s'établir à une ou deux semaines près plutôt que sur plusieurs mois, j ne peux absolument rien prévoir. Mais j'ai au fil du temps appris à ne pas culpabiliser quand je m'octroyais une petite sieste ou une sortie ciné, sachant qu'un équilibre se créait (j'ai une sorte de petite loupiote qui s'allume dans ma tête quand il va vraiment y avoir un problème de planning). Un équilibre tout de même difficile à gérer entre "trop" et "trop peu". Qui fait que je bosse souvent les week-ends mais je m'interdis de bosser le soir. Les premières années, mon corps m'a très clairement indiqué des limites à ne pas franchir, deux fois. Depuis, j'ai compris, je m'écoute. En faire trop un jour, c'est le payer le lendemain voire toute une semaine…
Mais bon, être à son compte, c'est vraiment un état d'esprit différent du salariat.
Arma > oui, je m’inquiète car ça va bien, non pas pour me la péter, mais justement à cause de ces fameux frais cachés ^^
Il me semble que je paye déjà tout mais à un taux moindre. Par ex, les charges sociales, je suis à 24 % (environ) tant que je ne dépasse pas 32 900 € en 12 mois. Passé ce plafond de CA, je saute directement à 50 % de charges sociales, d’où l’intérêt pour moi de rester sous ce plafond, au moins la première année.
Ah oui, l’Agessa, j’avais complètement oublié ça… (car une toute petite partie de mes trads est payée en droits d’auteur).
Enfin, comme j’ai pu te le dire, malgré le nombre de feuillets que tu abats, je pense quand même que je préférerais avoir un planning bouclé sur quelques mois plutôt que le rythme que j’ai actuellement : j’ai mon planning jusqu’à la fin de la semaine prochaine (+ autres projets ponctuels les mois à venir mais qui ne m’occuperont pas le mois entier) et je m’estime heureuse et à l’aise.
L'Agessa c'est la grosse arnaque: ils calculent le montant de tes cotises sur ton chiffre d'affaire plutôt que sur ton bénéfice, et ils peuvent exiger des cotises tout en refusant de t'affilier si tu n'atteins pas un certain plafond de droits d'auteur annuel. Un vrai scandale auquel personne ne semble pressé de remédier, et des cotises déjà très lourdes qui vont encore augmenter avec la réforme de la RAAP prévue pour l'année prochaine (+8% de retraite complémentaire obligatoire d'un coup, et pas 8% des cotises déjà versées, mais bien 8% de ton chiffre d'affaires annuel, ce qui va couler financièrement pas mal d'auteurs et assimilés à petits revenus – la majorité d'entre eux, donc). Bref, si tu fais essentiellement du technique, tu ne devrais pas être trop embêtée avec ça.
Et, oui, le fait d'avoir une visibilité à plusieurs mois est quand même un sacré confort; ça fait un emploi du temps moins flexible mais nettement plus rassurant. Ca veut aussi dire que les "trous" sont plus graves et plus difficiles à combler (les attributions de trad littéraires se décidant rarement au dernier moment). En somme, c'est comme tout: il y a des avantages et des inconvénients!
Je suis vaguement les infos du côté de l’ATAA (Association des Traducteurs-Adaptateurs de l’Audiovisuel) et j’ai l’impression qu’il y a régulièrement pétitions et lettres ouvertes.
En auto-entreprenariat aussi, c’est le CA et non les bénéfices qui comptent, donc tous les investissements faits la première année, c’est pour ma pomme 🙂
Et oui, tu as raison pour cette histoire de trous. La vie de freelance n’est pas un long fleuve tranquille…