Au début la quatrième saison de « Gilmore Girls », Lorelai aide sa fille Rory à emménager dans sa chambre de dortoir à Yale. C’est un peu l’âge d’or de la série, et les répliques hilarantes fusent dans tous les sens. Pourtant, je me suis mise à pleurer avant la moitié de l’épisode et je n’ai plus arrêté jusqu’à la fin.
Un vendredi de septembre 1988, mon père m’a conduite en voiture à Toulouse où je devais commencer les cours à Sup de Co le lundi suivant. A l’époque, l’ensemble de mes possessions terrestres tenait dans un coffre de R19: deux cartons de romans et de bédés, une garde-robe modeste, le tout premier lecteur de CD que je m’étais offert avec le chèque envoyé par mon grand-père pour ma réussite au concours. Je devais loger au rez-de-chaussée d’une maison dont une veuve nommée Mme Puget occupait l’étage, en compagnie de deux étudiantes d’une école d’ingénieurs dont la rentrée des classes avait lieu seulement en octobre. J’avais hérité de la chambre « moyenne », ni la plus grande qui était vraiment immense, ni la plus petite qui évoquait vaguement un placard à fenêtre. Elle était meublée d’un lit en 120 cm (immense pour moi qui était habituée au lit en 90), d’une vieille armoire aux portes grinçantes comme il y en avait chez mes grands-parents, d’un petit bureau recouvert de papier autocollant vert sapin et d’un fauteuil crapaud assorti. Le parquet craquait sous mes pieds. Il y avait un frigo minuscule dans la cuisine, et une seule étagère pour trois filles dans la salle de bain pleine de courants d’air glacés. Mme Puget avait édicté des règles très strictes: téléphone sur sa ligne fixe seulement en cas d’urgence, interdiction de ramener des garçons… Ce n’était pas le logement que j’aurais choisi si on m’avait consultée, mais j’étais ravie de prendre enfin l’indépendance après laquelle il me semblait soupirer depuis des lustres. Et tant pis si c’était pour faire des études qui ne me plaisaient guère (sur le coup, je ne me rendais pas compte à quel point j’allais les haïr).
Le samedi matin, après avoir passé la nuit dans une des autres chambres encore libres, mon père a repris le chemin de Toulon. Il a baissé sa vitre pour un dernier au revoir; sous sa moustache, il a souri en pinçant un peu les lèvres comme chaque fois qu’il était ému et ne voulait pas le montrer. Debout sur le trottoir, j’ai agité la main gauchement, me sentant soudain toute petite et très seule dans cette grande ville où je ne connaissais personne et où je n’avais aucun repère. Dans mon sac à main dos, j’avais un chéquier neuf à mon nom – et une autorisation de sortie du territoire, parce que je n’étais même pas encore majeure. Je ne m’entendais pas spécialement bien avec mon père à l’époque; pourtant, mes yeux se sont remplis de larmes tandis que je regardais sa R19 s’éloigner dans la rue du 10 avril. Comme ils se sont remplis de larmes mercredi soir alors que, plus d’un an et demi après sa mort, une série télé me rappelait combien il continue à me manquer.
Très touchant… Courage !
<3