Peu d’artistes ont touché ma vie de telle façon que j’aimerais les rencontrer pour leur dire merci. La plupart d’entre eux sont morts; comme je ne possède hélas aucun talent de médium, ma gratitude à leur égard restera inexprimée. Il me semble peu probable que j’aie un jour l’occasion d’un tête-à-tête avec Leonard Cohen, face auquel je resterais de toute façon pétrifiée d’admiration et bien incapable d’articuler la moindre syllabe. Amanda Palmer, entrée dans ma liste depuis peu, se montre très accessible pour ses fans, et je ne désespère pas de pouvoir lui toucher quelques mots un jour. Mais avec Lola Lafon, j’ai eu au fil des ans une incroyable suite de rendez-vous manqués, au point que je finissais par croire qu’une malédiction m’empêcherait à tout jamais de lui expliquer le foudroiement qu’avait été pour moi « Une fièvre impossible à négocier ».
Samedi, Lola dédicaçait à la Foire du Livre de Bruxelles son quatrième roman « La petite communiste qui ne souriait jamais« . Le premier qu’elle publie chez mon éditeur français préféré Actes Sud, le premier salué de manière unanime et dithyrambique par les critiques de tous bords. Je m’étais retenue de l’acheter en prévision de cet événement. Et jusqu’à la dernière minute, j’ai craint que l’univers ne me mettre encore des bâtons dans les roues. Avec mon cours de yoga entre midi et deux, le temps de déjeuner même vite fait chez Exki, ne risquais-je pas d’arriver trop tard à Tours & Taxis? Ou de découvrir, une fois sur place, que sa venue était annulée? Que la séance avait finalement eu lieu le matin? Que victime d’un empoisonnement à la frite-mayo survenu lors du déjeuner, Lola avait été transportée d’urgence à l’hôpital? J’en avais des palpitations rien que d’y penser.
Et puis non.
Elle était là avec ses grands cheveux blonds et sa frange de fille faussement sage, ses yeux sombres au regard pénétrant, ses ongles vernis de couleurs différentes. J’avais le coeur qui battait très fort et j’ai parlé trop vite, un peu n’importe comment, en hésitant entre le « vous » et le « tu », en essayant de mettre mille choses dans la même phrase, faire tenir des années de tumulte rentré en quelques mots, décrire avec des sons parfaitement inadéquats la lumière blanche aveuglante qui s’échappe des pages de ses livres. Elle m’a écoutée avec un sourire grave et répondu de sa voix douce et je crois qu’elle m’a entendue vraiment, et j’en étais très émue et très heureuse. Il faut toujours remercier les gens pour ce qu’ils vous donnent, même quand ils n’ont pas conscience de changer votre vie.
Un peu plus tard, elle a donné un concert-lecture, et j’ai regardé ses mains danser dans l’air pendant qu’elle lisait-vivait des passages de son roman, reprenait un vieux tube de Bronski Beat sur un tempo si différent que je ne l’ai reconnu qu’au refrain ou entonnait pour conclure un morceau dans son autre langue, le roumain. Et puis c’était déjà le moment de partir. Un dernier sourire échangé à travers la foule massée devant elle à la sortie du petit théâtre, et je me suis dirigée vers la sortie avec l’impression de marcher sur des nuages, la certitude que ça valait bien le coup d’attendre cette rencontre, et dans mon sac, un nouveau rendez-vous de 310 pages avec les mots de Lola Lafon qui résonnent si bien en moi.
"Il faut toujours remercier les gens pour ce qu'ils vous donnent, même quand ils n'ont pas conscience de changer votre vie."
Amen. Bel hommage qui donne envie de découvrir son oeuvre en tout cas.
Pour te répondre sur Amanda Palmer, c'est quelqu'un de très facile à approcher (elle ressort souvent dans la salle après les concerts) mais avec qui j'ai toujours eu du mal à établir un échange. C'est une girouette qui ne tient pas en place et qui réagit de manière très aléatoire à ce que tu lui dis. J'ai beau l'avoir croisée un certain nombre de fois et interviewée à deux reprises, j'ai totalement renoncé à essayer de lui dire à quel point sa musique compte pour moi.
Lola est chanteuse aussi, j'ai hésité à en parler dans l'article, mais elle a sorti deux albums (que j'ai, évidemment): Grandir à l'envers de rien et Une vie de voleuse, qui reprennent pas mal les thèmes de ses romans.
Quant à Amanda Palmer, c'est un peu l'impression qu'elle donne, oui, d'être assez lunatique et imprévisible.
Je l'ai lu le mois dernier, il m'a énormément plu, le livre de Lola Lafon (que je ne connaissais pas du tout). Certaines phrases des Roumains qui se demandent si les leurs sont morts pour qu'eux deviennent esclaves de Goldman Sachs ou pour que des villages entiers soient expropriés par des compagnies canadiennes qui exploitent le gaz de schiste m'ont frappée.
Je ne connaissais pas du tout Lola Lafon et elle m'a littéralement "hypnotisée" il y a quelques semaines, lorsqu'elle a présenté son dernier roman sur France Inter. Il est dans ma liste à lire… et j'attends avec impatience tes impressions !
Je tiens absolument à lire ce livre. Je suis certaine de l'aimer car j'ai été passionnée par ce monde de la gymnastique.
Très beau témoignage 🙂