
Boucler la journée de travail en vitesse malgré les interruptions (passage de DHL avec un colis de service de presse, conférence Skype de trois quarts d’heure pour Chouchou, passage du facteur avec un colis Amazon, courses Delhaize pour la semaine à ranger dans la cuisine). Braver la pluie pour aller à la dédicace de Serge Baeken chez Brüsel. Répéter bêtement « Je l’ai trouvé très beau et très touchant, votre livre », une main sur le coeur en détachant bien les syllabes pour être sûre de se faire comprendre. Songer que puisqu’on est dehors et qu’il n’y aura personne à la maison ce soir, autant aller bouquiner dans un endroit sympa. Arrêter son choix sur un grand classique: l’Amour Fou. S’installer à une petite table de deux face au bar: le sac en tissu imprimé de renards, le manteau bleu marine plié en deux et l’écharpe rose roulée en boule à gauche, le sac à main gris à droite, le parapluie détrempé par terre (ne pas l’oublier en partant), l’appareil photo sur la table. Hésiter entre un thé des Gnawa et un mojito framboise, demander l’heure au serveur, commander un mojito framboise. Sortir de son sac un des deux livres très minces qu’on a emportés et se mettre à lire en sirotant son mojito framboise avec deux pailles. Avoir du mal à se concentrer. Lever souvent la tête pour regarder les allées et venues des clients, le ballet des serveurs tandis que la salle se remplit. Essayer de se concentrer sur les souvenirs d’enfance de l’auteur. Revoir quelques-uns des siens comme des instantanés aux couleurs passées par les ans. Se dire que ce serait marrant d’en faire un billet. Gribouiller l’idée sur une carte-réponse trouvée dans le bouquin. Commencer à flotter juste un peu. Se sentir complètement ici et maintenant, tout entière contenue dans l’instant. Se dire que ça ferait un bon sujet de billet. Gribouiller l’idée en-dessous de la première sur la carte-réponse. Commander un burger Luigi pour changer un peu du Double Champi. S’en féliciter: il est délicieux lui aussi. Dans la foulée et parce qu’on se sent d’humeur conviviale, sourire à la gérante qui vient d’arriver et la complimenter sur sa veste fourrée. Apprendre qu’elle l’a achetée « dans un magasin de vieux, Camaïeu ». Hum. Etre dans d’excellentes dispositions vis-à-vis du reste du monde, et avoir la certitude que cet état n’est pas naturel. Se demander si on doit le regretter: les non-sociopathes sont sans doute beaucoup plus détendus et optimistes au quotidien. Heureusement, pour les autres, il reste l’alcool. Composer plusieurs billets lyriques dans sa tête, et se dire que chouette, on va avoir le temps de mettre tout ça par écrit en rentrant. Payer l’addition, chercher de la monnaie dans le porte-monnaie Totoro au ventre bien trop gros. Sortir dans la nuit noire et se battre pour rouvrir le parapluie à pois acheté en Finlande l’été dernier. Marcher en regardant ses pieds pour ne pas glisser sur les pavés mouillés ou marcher dans une énorme flaque. Se dire qu’on adore Bruxelles même sous la pluie, signe qu’on n’est décidément pas dans son état normal, et qu’on aime vraiment beaucoup sa vie, signe qu’on reste quand même un minimum lucide. Et puis en arrivant chez soi, le cerveau soudain vide de toute idée, passer la soirée à comater devant le nouvel épisode de Candy Crush Saga. Où vont les billets perdus qu’on n’a jamais composés ailleurs que dans sa tête et qui promettaient d’être tellement plus éblouissants que les autres?
La photo qui illustre ce billet a été traitée à l’aide de Waterlogue, formidable application qui transforme vos clichés en aquarelle avec différentes options de « filtres » comme Instagram.
J'a-dore ce billet et tous les non-billets qu'il contient.
Bises
Bonjour Armalite, ton billet m'a fait vivre ces moments avec toi, là-bas, l'autre jour…même si j'essaye de vivre ici et maintenant mais une petite escapade de temps en temps vers Bruxelles….Merci,j'aime ton écriture et ta sensibilité.
Bonne journée.
j'aime beaucoup ce texte et ça me donne envie d'en écrire (à nouveau) plus ou moins du même genre… dans quelques semaines peut-être ?
J'adore aussi ! Sachons reconnaitre les petits moments de bonheur et profitons-en ! Beau weekend Armalite !