Courant novembre, un nouvel éditeur m’a contactée pour me proposer une traduction. Une histoire de voyage dans le temps, un de mes sujets préférés en littérature. Une quatrième de couverture über intrigante. Un style très travaillé, et en bonus, le mystère de l’identité de l’auteur, qui s’est déjà fait connaître en publiant plusieurs romans à succès dans d’autres genres et qui signe ici d’un pseudonyme. Moins de cinq minutes m’ont suffi pour savoir que j’avais très envie d’accepter ce boulot. Puis j’ai demandé à quand serait fixée la date de remise, et on m’a répondu: fin février au plus tard. Alors que ça représentait environ six semaines de boulot pour moi, et que mon planning du premier trimestre 2014 était déjà plein. Mais elle me faisait tellement envie, cette traduction, que je me suis démenée pour lui trouver quand même une petite place. J’ai négocié un délai supplémentaire de trois semaines avec l’éditeur du tome 12 de « Pretty Little Liars », que je devais rendre fin février. Puis j’ai mis la gomme pour gratter une semaine sur la remise du tome 8 des « Seigneurs des Runes » (initialement prévue fin novembre) et deux sur la remise du tome 6 de « The Lying Game » (initialement prévue fin janvier), en me félicitant de prévoir toujours une marge en cas d’imprévus et en priant pour ne pas tomber malade avant fin mars.
Quand je commence à traduire un nouvel auteur, il me faut toujours un moment pour m’adapter à son style. Ici, la principale difficulté réside en des phrases longues et très alambiquées, qui passent tout juste en anglais et pas du tout en français. Dilemme: les couper en deux pour les rendre plus digestes, mais ce faisant, toucher à la spécificité de l’écriture, ou les raccourcir légèrement pour les garder d’un seul tenant, mais au prix du sacrifice de quelques adverbes et autres détails? Non seulement il n’y a pas de réponse 100% satisfaisante (quel que soit votre choix, il y aura toujours quelqu’un pour penser que vous n’avez pas fait le bon), mais la réponse la moins insatisfaisante change d’une fois sur l’autre, de sorte qu’il faut se reposer la question à chaque phrase ou presque. Bien entendu, la vitesse de travail s’en ressent. Mais une fois que je commence à être vraiment dans le texte, à acquérir une méthode et un rythme, quelle satisfaction de déjouer les pièges de la VO de plus en plus facilement! Quelle jubilation en relisant un paragraphe bien tordu et en constatant qu’il coule tout seul en français! Je n’avais pas bossé sur un texte aussi ardu, ni ressenti autant de satisfaction du travail accompli, depuis « Les Chroniques de Thomas Covenant ».
Autre difficulté de ce roman: une pléthore de références historiques et scientifiques, deux domaines dans lesquels j’ai une culture générale des plus moyennes. Heureusement que Google mon ami est là! Je n’ose penser au temps que j’aurais perdu en recherches si j’avais dû traduire ce roman quand j’ai débuté dans le métier, deux ans avant de découvrir internet – oui, je suis VIEILLE. Au tiers du bouquin, j’ai déjà dû me documenter sur: le cancer des poumons (avec le bonheur que vous imaginez…), la chronologie du Watergate, la structure des tanks allemands pendant la Deuxième Guerre Mondiale (un choix de traduction qui trahit ma nature pessimiste), les psychotropes (toutes ces substances que je n’ai jamais eu l’occasion de tester dans ma folle jeunesse!), la théorie du Big Bang vs. celle de l’état stationnaire, la topographie de Londres (tous ces quartiers où je n’ai jamais mis les pieds!) et les corsaires ottomans. D’ici à ce que je rende ma traduction, je devrais avoir gagné environ 10 000 XP dans ma compétence Culture Générale. Je ne m’en plains pas: j’aime gagner au Trivial Pursuit apprendre.
Bref, je bosse beaucoup en ce moment, et c’est ma joie. Parfois, j’ai un peu de mal à caser tout ce que j’aimerais faire dans ma journée (avant-hier, un peu patraque, je me suis levée tard et ai dû renoncer à ma séance de Pilates du midi), mais le plus souvent, cette pression me booste et me donne envie d’être encore plus active par ailleurs. Je n’ai jamais eu autant d’idées et de projets, à la fois en attente et en cours de réalisation. 2014 devrait être une année extrêmement productive.
Oui, mais le bouquin, me direz-vous? Après nous avoir mis l’eau à la bouche, tu ne vas quand même pas conclure ton billet sans nous filer le titre? Non, je ne suis pas si cruelle. Ca s’appelle « The First Fifteen Lives of Harry August« , et c’est de la bombe. La VO sort début avril, et ma traduction française le mois suivant me semble-t-il. Je vous en reparlerai à ce moment-là, et j’en ferai sans doute gagner un exemplaire ici même. Stay tuned.
J'ai tendance à toujours proposer "Seconde Guerre Mondiale" si je le trouve dans un texte :D. Ma nature optimiste, probablement ^^
JE VEUX LE LIRE. Oui bonjour, je sais être polie aussi, sinon 😀 !
Que j'aime lire ce genre de choses – non, je ne parle pas du thème du roman (quoique le résumé me fasse plutôt envie ), mais des mots qui nous font partager le plaisir du travail, cette envie d'aller encore plus loin, ce bonheur de s'immerger dans une tâche et d'en apprendre des choses, le cerveau qui carbure à fond, et le temps qui presse… cela me rappelle mes études… et bon sang, qu'est-ce que j'ai hâte de pouvoir retrouver ces sensations !
En tous cas, bravo d'avoir assuré tout ça !
(Et je vais attendre la sortie avec impatience.)
En te lisant, je regretterais presque de ne pas avoir choisi cette voie pour mes études plutôt que les langues romanes ! Quel bonheur ce doit-être de pouvoir donner vie à un livre dans une autre langue !
Courage pour la fin de ta traduction ! En tous cas, tu as réussi ton coup, maintenant, j'ai envie de découvrir ce livre que tu décris ! 😉
Bravo pour la performance de caler ce roman dans le planning ! Et c'est vrai que c'est très agréable à lire – le travail ardu qui épanouit !
Bon courage pour cette traduction – ça donne envie de lire le livre !
Maghily: à vrai dire, je n'ai pas non plus fait d'études de traduction ni d'anglais, je suis diplômée de Sup de Co avec une option majeure en marketing ^^
C'est bon à savoir ça ! 🙂 Bon, mon niveau en langues est beaucoup trop bas pour le moment mais ça laisse toujours la possibilité d'une porte ouverte !
Ben… j'ai commencé y'a 20 ans… aujourd'hui même les traducteurs super diplômés et/ou avec plein d'expérience peinent à trouver du taf, donc je te le conseille pas comme plan B professionnel!
Se billet me donne simplement envie de me jeter sur le livre !
En tout cas, merci pour ce petit aperçu "de l'intérieur". Je trouve cela passionnant et je ne comprends que trop ton enthousiasme. J'espère pouvoir dire un jour que cela fait vingt ans que je traduis 🙂
Beau billet 🙂
Je viens de lire un article assez intéressant sur le situation actuelle des traducteurs, à l'ère du "Traduire plus pour gagner moins":
http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20140116.OBS2713/traduire-plus-pour-gagner-moins-grandeur-et-misere-des-traducteurs.html
Mouais. S'il évoque la baisse de revenus due au changement du système de calcul, il omet complètement l'autre gros problème qui est qu'on se fait gravement entuber sur les droits du numérique…
Je suis plutôt du côté optimiste de la force et je parle de Seconde Guerre Mondiale 😉
Concernant l'article de L'Obs, je le trouve assez réducteur… et passablement condescendant. Je me trompe ? En plus, il commence son article par dire qu'il y a 80% de traductrices, mais dans ses témoignages, il y a 3 hommes pour une femme (visibilité des professionnelles dans les médias, tout ça). Et puis c'est tellement loin de ma pratique de la traduction ! Certes, je ne fais partie que de la sous-sous-race des traducteurs techniques (trop facile et trop bien payé, paraît-il). Et j'utilise des logiciels de TAO… horreur, malheur ! Mais enfin, même si ce n'est pas la panacée, on est bien d'accord, il ne faut pas confondre les logiciels cités (de traduction assistée par ordinateur) et des logiciels de traduction automatique, pour lesquels aucune intervention humaine n'est nécessaire (soi-disant). Et qui donnent "les résultats qu'on sait: des notices totalement incompréhensibles". En fait, je crois que cet article m'a mise en rogne. Je m'en vais retourner à mes 400 mots par heure (malgré l'aide des logiciels, oui).
Niña > Je compatis (dans la même situation. Quoique… allez 399 mots/heure ^^).
C'est rare de trouver de bons articles éclairés sur la situation des traducteurs en France. Que ce soit les littéraires ou les techniques…
En tout cas, tu me vends du rêve là (oui, encore). Bouché ou pas bouché, je crois quand même que je vais tenter une semi-reconversion dans ce secteur.
Et bien sûr, j'ai hâte d'en savoir plus sur ce roman ! Style alambiqué… ça m'intrigue déjà !
OMG!!! Arrivée sur le blog par hasard (le thé je pense), et je tombe sur la traductrice de quelques unes de mes séries préférées!!! (Seigneur des Runes, Anita Blake).
Je me prosterne, vous rend hommage, vous vénère! (même si les les lis en V.O.)
Vous permettez que je vous appelle Déesse?
Bonne journée 😀
Je permets surtout qu'on me tutoie, parce que c'est plus pratique comme ça ^^
Et si ça se trouve, tu n'aimerais pas du tout mes traductions, donc attends un peu avant de me déifier 🙂
Mais si Déesse, j'aime tes traductions: Seigneurs des Runes, j'ai commencé en français (5 tomes je pense), puis j'ai repris en anglais, du 5 au 8, car c'était pas encore traduit me semble-t-il. Preuve de la bonne traduction: je n'ai eu aucun mal à suivre dans l'autre langue 🙂