Fin d’une licorne

La photo était accrochée chez moi depuis 20 ans: un agrandissement d’un cliché pris du côté de Nottingham pendant le Gathering 1993. Dessus, nous sommes 7 potes venus exprès du sud de la France. Je porte une longue robe mauve ourlée d’argent, une dague en latex à la ceinture et une cape noire fermée par une broche licorne, parce que c’était l’emblème de notre faction. Plus tard, je me suis fait tatouer le motif sur l’omoplate gauche en souvenir de ce week-end extraordinaire. 
Les 6 autres personnes présentes avec moi sur la photo, je les ai pour la plupart perdues de vue depuis belle lurette, quand je ne suis pas carrément brouillée avec. La dernière fois que j’ai eu des nouvelles de JP – interminable queue de cheval blond filasse, teint encore plus blafard que le mien, oreilles d’elfe, silhouette longiline vêtue de vert et de marron, connaissances encyclopédiques en matière de géographie -, il bossait au service de la redevance télé et se battait contre une dépression tenace. C’était il y a… 12 ans? 15?
La semaine dernière, j’ai décroché de mon couloir cette photo qui appartenait à un passé trop lointain, trop révolu, et je l’ai remplacée par deux cadres au point de croix. 
Ce matin, un ami commun m’a annoncé sur Facebook que JP venait de se suicider. 
Je ne le fréquentais plus depuis trop longtemps pour prétendre être bouleversée. Mais malgré ses difficultés, la vie est si belle que je trouve affreusement triste d’y renoncer de façon volontaire. D’un côté, des gens qui voudraient bien rester encore un peu et qui sont emportés par le crabe; de l’autre, des gens qui auraient « tout pour être heureux », selon la formule consacrée, et qui choisissent de s’en aller parce qu’une saleté d’un genre différent leur supprime le goût de tout.

La vie est si belle, oui. Parfois, elle est aussi singulièrement mal faite.

4 réflexions sur “Fin d’une licorne”

  1. "des gens qui auraient "tout pour être heureux", selon la formule consacrée, et qui choisissent de s'en aller parce qu'une saleté d'un genre différent leur supprime le goût de tout." J'aime beaucoup cette phrase. La dépression est si mal comprise. Les gens qui se suicident trop souvent traités de lâches. J’apprécie énormément ton empathie sur ces quelques lignes.

    Je suis désolée pour toi même si cela faisait longtemps que tu ne le voyais plus, c'est toujours triste d'apprendre la mort de quelqu'un qu'on a connu et apprécié.

  2. Je plussoie à ce que dit Leyciaan. La dépression est une maladie, mais mal connue, mal perçue et surtout mal soignée… J'en parle car je suis passée par là jusqu'à ce que je tombe sur un médecin peu conventionnel qui m'a aidée à la surmonter grâce à… de l'homéopathie ! Les anti-dépresseurs m'ont certes un peu aidé à une époque, mais d'un autre côté, ils faisaient plonger mon estime personnelle au 40 000e dessous (donc, je ne risquais pas de m'en sortir). Bon, l'un et l'autre, sans une thérapie active, je ne pense pas que ça marche non plus (les médicaments restent une béquille), mais aujourd'hui, j'ai sorti la tête de l'eau et je peux affirmer que je suis majoritairement heureuse.

    Tout ça pour dire que je suis vraiment désolée pour cette personne, même si elle ne t'était pas proche, car c'est un état difficile à surmonter et mal perçu alors que c'est une maladie dont (je pense) la majorité des gens aimerait sortir.

  3. Etant donné que j'ai rencontré une situation similaire récemment, je suis désolée…à la fois pour toi, pour lui qui a abandonné la vie, pour ceux qu'il laisse aussi (car il y a toujours quelqu'un qu'on laisse à mon sens)..bref parfois je m'étonne du chemin que prend la vie, et de la façon dont il se termine…

  4. Depuis ce matin, je pense à ses parents. S'ils sont encore en vie, quel calvaire ce doit être pour eux…

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