
Illustration empruntée ici
Début décembre, j’ai décidé de prendre un mois sabbatique en février. Je ne savais pas vraiment ce que j’en attendais. Je n’étais absolument pas au bord du burn-out professionnel puisque j’ai la chance de faire un boulot que j’aime et qui, malgré quelques problèmes ponctuels (quel travail n’en suscite jamais, surtout de nos jours?) n’est pas particulièrement stressant. Mais suite au décès de mon père, j’avais besoin de prendre du recul, de réfléchir à la suite de ma vie. Réfléchir à quoi exactement? Une possible reconversion professionnelle, a priori, car le secteur de l’édition ne va pas bien depuis deux ans. Or, même si je m’efforce de devenir moins matérialiste et que je ne cours pas après l’argent en soi, j’adore voyager, et aucune compagnie aérienne n’acceptera de me faire cadeau de ses billets d’avion. Accessoirement, j’aime assez avoir un toit sur la tête, une connexion internet et de quoi manger à chaque repas. N’étant pas née au sein de la famille Hilton, je dois donc travailler.
Mais dès le premier jour de ce mois de congé que je m’étais accordé, une des éditrices pour lesquelles je bosse m’a contactée avec une proposition de bouquin, et en essayant de trouver une date de remise pour ledit bouquin ainsi que pour les autres traductions que je dois effectuer prochainement, je me suis aperçue que mon planning était blindé jusqu’à fin décembre. Puis, en bouclant ma compta pro de 2012, j’ai réalisé qu’après plusieurs années de stagnation, voire de légère baisse de mes revenus, j’avais gagné significativement plus de sous l’an dernier qu’aucune autre année précédente. Bien entendu, ça ne veut pas dire que ce sera toujours le cas, ni qu’il n’est pas opportun de réfléchir à un plan B de carrière, mais j’ai pris ça comme un signe qu’il n’y avait pas d’urgence et que ma réflexion devait porter sur autre chose. Quoi? Bonne question.
Depuis deux semaines, je me suis mise à faire un quart d’heure de yoga chaque matin. Les bénéfices ont été immédiats et bien supérieurs à ce que j’attendais – bouger un peu mon corps, réassouplir mes articulations et activer ma circulation sanguine, me centrer pour être plus énergique et plus solide mentalement. En plus de tout cela, cette courte séance donne le ton au reste de ma journée. C’est une manière de me dire à moi-même: voilà ce que j’entends vivre aujourd’hui et comment j’entends le vivre. Ma liste de choses à faire peut attendre; je décide de m’occuper en priorité de mon bien-être physique et mental, de poser à cette journée des fondations sur lesquelles je pourrai construire plus efficacement et surtout plus intentionnellement, c’est-à-dire, en accord avec mes besoins et mes désirs.
Je concède que je n’ai pas une vie très chargée ni très stressante: je travaille à la maison, à mon rythme, et je n’ai pas d’enfants à gérer. Pourtant, comme tout le monde, je tends à me laisser emporter par une routine un peu abrutissante. Mon travail a la priorité, bien sûr, puisqu’il faut payer les factures. Viennent ensuite l’entretien de la maison et la préparation des repas. Le temps et l’énergie qu’il me reste après ça, je les dépense en réaction aux activités précédemment citées. Mon boulot m’a un peu pris la tête: je traîne sur les réseaux sociaux pour ne pas trop solliciter mes neurones. Faire le ménage m’a gonflée: je m’affale sur le canapé avec un bouquin. Alors certes, j’ai plaisir à discuter avec mes contacts sur Facebook, et la lecture a toujours occupé une place prépondérante dans ma vie. Mais pendant ce temps, je n’avance pas. Je n’accomplis pas ce que je voudrais réellement accomplir. Notamment, je n’exploite pas ma créativité, pourtant la chose au monde qui m’apporte le plus de satisfaction.
Vous me direz sans doute qu’on ne peut pas être constamment sous pression, qu’il faut bien se détendre un peu, que la vie ne peut pas se résumer à une longue To Do List. Je nuancerai en vous répondant qu’elle ne peut pas se résumer à une liste de corvées, ou en tout cas, que je ne veux pas qu’elle se limite à ça. Mais il ne s’agit pas de me créer de nouvelles obligations en sus de celles plus ou moins imposées par le quotidien: il s’agit de maximiser le bien-être que je retire de mon temps libre. De faire des choses qui m’apportent un vrai plaisir, une satisfaction active, et pas juste un doux abrutissement. De profiter de ma vie autant que possible, puisque je sais désormais qu’elle peut déraper ou s’arrêter à tout moment. Chaque minute est précieuse, et j’aimerais en gaspiller le moins possible avec des activités de second choix, des choses que je fais mécaniquement, par défaut et sans en retirer quoi que ce soit de significatif. Je voudrais que chacun de mes gestes soit choisi et pas réalisé par automatisme; je voudrais l’accomplir de la manière la plus intentionnelle possible, et en pleine conscience.
J’ai une chouette vie depuis que je suis en couple avec Chouchou. Et justement parce qu’elle est plus chouette que celle de beaucoup de gens, j’ai eu tendance à me dire ces dernières années que ça suffisait bien. Inconsciemment, il me semblait que vouloir davantage serait de la cupidité pure et simple. Comme si je culpabilisais d’être heureuse malgré mes attaques de panique ou la maladie de mon père. Je suis en train de réaliser combien c’est idiot. Mettre plus d’intention dans ma vie, tenter d’accomplir davantage de choses ou de profiter encore plus de chaque instant n’enlèvera rien à personne autour de moi. Si ça se trouve, ça pourrait même inspirer quelqu’un!
Donc, je veux occuper mon temps libre de la manière la plus productive possible, ou disons, la plus génératrice de satisfaction – lire au soleil sur un banc par une belle journée de printemps, par exemple, ça compte; ça compte même beaucoup! Mais je veux aussi être davantage présente dans les moments où je me soumets à des obligations. D’abord, parce que les choses que je perçois comme des obligations sont en réalité des choix: au lieu de travailler, je pourrais restreindre dramatiquement mon train de vie et subsister avec le RSA, ou essayer de me trouver un mec plein aux as qui m’entretiendrait; au lieu de faire le ménage, je pourrais payer quelqu’un pour le faire à ma place ou vivre dans une porcherie; au lieu de cuisiner, je pourrais acheter des plats tout prêts ou claquer des fortunes en restos. Je trouve important d’en être consciente. Et, en étant consciente, tenter de tirer quelque chose aussi de ces moments-là. Lorsque je traduis, j’ai parfois une satisfaction intense à enchaîner des descriptions fluides, à transposer des dialogues qui claquent, à trouver un bon jeu de mots. Quant au ménage et à la cuisine, ils peuvent devenir des formes de méditation en soi (voir le concept japonais du wabi-sabi). Je voudrais ne plus les considérer comme des corvées mais comme des opportunités, des moments profitables à leur façon – et pas juste après coup parce que j’ai des sous sur mon compte, un appartement propre et un repas maison dans l’assiette.
Vivre intentionnellement: voici la résolution que m’inspirent deux semaines et demie sans travailler. L’expression n’est pas très française, je vous l’accorde, mais je n’en ai pas trouvé de meilleure…
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C'est une très bonne façon de voir les choses, j'aime beaucoup ta réflexion sur la vie d'une manière générale. Faudrait que je réfléchisse à la mienne de mon côté…
Je me retrouve beaucoup dans le quatrième paragraphe, c'est pour ça que je t'ai suivie sur l'idée des listes mensuelles. Je laissais se perdre mes envies parfois simple à réaliser, le temps filait à perte vers des activités "non intentionnelles" 🙂
Ta réflexion est très intéressante et inspirante, merci!
Merci pour ce billet qui fait réfléchir!!
Je partage ton point de vue.
Je crois que nous sommes trèèèès nombreux dans ce cas d'ailleurs.
Je dis toujours qu'on ne sait pas vivre. On perd un temps fou à tergiverser, du coup, rien ne se fait et on regrette parce-qu'on aurait pu mettre ce temps à faire qqle chose qui nous aurait fait plaisir et du bien.
N'esce-pas là le propre de l'humain ? ou esce un trait de caractère ?
Ton billet me permet d'y réfléchir. Merci
<3
Tu sais mettre des mots tellement justes sur ces états d'esprit…
Je me suis souvent fait la réflexion que ma vie était une liste de listes et qu'à force de vouloir abattre des listes de choses à faire, de livres à lire, de films à voir, d'expos à faire pour "enrichir ma culture", je me demande où est passée la qualité. Je me pose donc la question de l'utilité de cette boulimie.
Ton post va peut-être m'apporter des réponses 🙂
C'est très vrai ce que tu as écrit… Merci d'avoir mis des mots sur ce que j'ai du mal à exprimer…
Routine abrutissante,oh que oui. J'éprouve moi aussi le besoin de m'ébrouer . C'est je crois ce qui a conditionné mon départ à l'étranger l'envie d'aller au delà des habitudes, de la facilité, progresser sur un plan personnel…
Merci, je n'ai pas trouvé ça long du tout.