La fille du dehors se dit qu’une journée à se promener dans le centre-ville lui fera du bien. Son programme classique commence par un déjeuner au Sur la place, définitivement son resto du midi préféré. Elle lit le dernier Pratchett au bord de la fontaine qui gazouille en attendant son ardoise fraîcheur. Elle boit son velouté petit pois/menthe avec une paille rose, mange sa pastèque avec la brousse aux herbes, trouve le melon sucré juste comme il faut.
La fille du dedans se dit qu’avec toutes les saloperies qu’il y a maintenant dans l’air, dans l’eau et dans la terre, le bio est une vaste blague et que chaque bouchée de nourriture avalée est un clou supplémentaire dans son cercueil. (Du coup, elle va faire l’impasse sur le dessert.)
La fille du dehors va prendre des nouvelles de son amie qui travaille dans la boutique voisine et donne des siennes en omettant l’essentiel.
La fille du dedans entend des sons sortir de sa bouche et les trouve tout à fait dénués de signification comme d’intérêt.
La fille du dehors pense qu’une ou deux nouvelles fringues de mi-saison l’aideront à se mettre dans le bain de la rentrée. Cette jolie robe rouge à fleurs de chez Naf-Naf, par exemple, qui lui va comme un gant en 38 (bénies soient les marques qui taillent grand). Ou ce T-shirt rayé noir et blanc La mode est à vous, avec une petite abeille rouge brodée sous le col. Elle en prendrait bien un deuxième, avec plein de détails rigolos, mais elle ne voit pas avec quoi elle le porterait, alors elle le remet sagement sur son cintre.
La fille du dedans pense que de toute façon, aucune fringue ne la rendra plus mince, que ses placards débordent déjà et qu’elle ne tuera pas son blues à coups d’euros. Si c’était possible, ça se saurait depuis belle lurette.
La fille du dehors furète à la Fnac en quête de CD qui ne sont pas en stock. Elle se rabat sur un roman de Yû Nagashima parce qu’elle a envie de retourner au Japon, que ça ne va pas être pour tout de suite mais qu’elle peut au moins voyager dans sa tête en attendant.
La fille du dedans furète dans son stock de catastrophes écologiques potentielles et prend des paris sur la date du prochain accident nucléaire grave.
La fille du dehors répond au téléphone. Etre Exquis s’excuse: débordé de boulot, il ne peut pas manger avec elle cette fois. Il est tout triste parce qu’il a dû faire piquer son chien de 5 ans le matin même. Elle compatit sincèrement, et pour le resto, c’est pas grave, on se verra le mois prochain.
La fille du dedans sent monter les larmes et les ravale sauvagement.
La fille du dehors hésite: reprendre le bus là pour rentrer chez elle, ou remonter jusqu’à la gare en prenant un autre chemin? Elle a mal aux pieds, mais il fait beau, il n’est pas si tard, et elle a envie de tester le resto de sushis de la grande place. Halte à la fainéantise; elle décide de profiter au maximum de sa journée.
La fille du dedans capitule et se roule en boule dans un coin obscur.
La fille du dehors entre dans sa librairie bédé/jeunesse préférée et y fait l’emplette de trois ouvrages qui semblent pleins de poésie et de magie chacun dans son genre. Des pansements pour l’âme, se dit-elle.
La fille du dedans ricane, et c’est un son douloureux qui blesse les oreilles.
La fille du dehors s’installe à la terrasse du restaurant de sushis, encore déserte parce qu’il n’est même pas 19h. Elle commande une douzaine de makis (saumon/avocat, fromage frais/concombre) et un thé vert, lit un magazine qui ne surmène pas trop les neurones en attendant d’être servie. De l’autre côté de la place, un chanteur allume une boîte à rythme et entonne un air sud-américain devant un public clairsemé. Ca sent la fin de l’été.
La fille du dedans a envie hurler qu’on s’en fout de tout ça, du monde qui part à la dérive, des saisons déglinguées, des objets qu’on entasse, des calories qu’on ingurgite et autres pauvres distractions éphémères. La seule chose qu’elle veut vraiment, c’est qu’on lui laisse son papa.
La fille du dehors et ses lunettes roses.
La fille du dedans et son coeur peint en noir.
Je voudrais créditer l’auteur de cette photo, mais je n’ai pas noté où je l’avais prise
il y a déjà un petit bout de temps et je ne sais pas comment remonter à sa source…
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pour la recherche inversée d'image: http://www.tineye.com/
Plein de pensées douces, dedans-dehors, et des câlins dedans, et des bisous dehors.
La fille du dedans et la fille du dehors sont en tout cas bien courageuses. Elles le méritent bien, leurs petits bonheur. J'espère en tout cas qu'il leur arrive de se rencontrer de temps en temps, histoire d'en discuter…
Je fais des bises et envoie plein de pensées aux deux, elles le méritent bien.
(mais je ne te remercie pas pour la larmichette du dimanche matin)
Bon sang que je comprends ces mots : "La seule chose qu'elle veut vraiment, c'est qu'on lui laisse son papa."
De tout cœur avec vous.
Plein de bisous…
Plein de bisous à la fille du dehors comme à celle du dedans… <3
Plein de pensées pour la fille du dedans, une embrassade virtuelle, et beaucoup de sympathie…
Laisse moi te rejoindre… j'ai les bras assez long pour aller te chercher, là-bas, et te serrer fort contre moi. Dedans comme dehors.
Je t'embrasse fort, Isa et je t'envoie tout mon amour.
Tu as encore réussi à m'arracher des larmes… Mais comme je comprends les 2 filles…
Big big hug Isa !
Trés beau post, quelle écriture…
Merci à tou(te)s. Je suis toujours un peu embarrassée pour répondre aux commentaires sur ce genre de billet très personnel, mais croyez bien que j'apprécie.
Tu as un courage et un humour de fou. Bonne continuation.
J'aime bien l'image, j'ai les mêmes à la maison:-). Je te trouve terriblement courageuse. Ta fille du dehors est sans doute ta façon d'avancer, de résister, de mettre un peu de douceur sur tout ça. Parce que parfois, 5 min à penser à autre chose, à se faire plaisir, ça compte vraiment et ça permet de tenir le coup pour les 5 min suivantes. c'est de la bienveillance envers soi-même. Alors, au diable l'avarice, t-shirt à abeille, BDs remonte-moral et autres sont nos amis à défaut d'être ceux de nos banquiers.
J'ai la certitude qu'à Poudlard, tu aurais été un Griffondor 🙂 (suis en pleine crise Harry Potter… Hermione Granger sors de ce corps…à moins que je ne sois Neuville Longdubas…)
Pour le courage, c'est gentil, mais vraiment, je ne crois pas qu'il soit question de ça. Le courage, c'est quand tu as le choix entre un chemin rapide et/ou sans souffrance et un chemin lent et/ou difficile, et que tu prends le second pour des raisons morales, parce que ça te semble plus juste, plus loyal, etc. Là, de choix, y'en a pas! Faire au mieux avec une situation merdique, c'est pas du courage, c'est juste de la gestion.
Quant à Poudlard, Sophie, il est évident que j'aurais été une Ravenclaw!!! (Serdaigle en français, je crois?)
Très beau, très "lucide".
Merci
Superbe texte… d'une grande sensibilité… je ressens souvent ce dédoublement, il est parfaitement exprimé. Salutations…
Adeline