Scarlett, la fin du voyage

J’ai toujours détesté les chats. Probablement parce que, enfant, je n’ai connu que la chatte noire et blanche de mes cousines, une sauvageonne de la campagne prompte à envoyer les griffes quand on tentait de la caresser. Du coup, je les voyais tous comme des êtres fourbes et incompréhensibles.
Puis, au début des années 90, je me suis mariée avec un amoureux des chats et nous avons emménagé dans un rez-de-jardin où chacun de nous avait son bureau séparé. Je n’ai pas tardé à m’apercevoir que dès que j’avais le dos tourné, il ouvrait sa fenêtre pour laisser entrer un gros matou rayé gris et blanc qu’il avait pris en affection. J’ai d’abord râlé. Puis j’ai dit d’accord, mais il ne sort pas de ton bureau. Puis j’ai vu que le gros matou, qui aimait se draper sur ses épaules, bavait bizarrement. En grommelant, je l’ai emmené chez le véto – qui a dit que c’était juste une manifestation normale de bien-être chez certains félins. Je l’ai baptisé Pépito. Je lui ai acheté une gamelle et du Whiskas. Deux semaines plus tard, j’ai remarqué dans le jardin de la résidence une petite femelle gris bleuté magnifique. J’ai acheté une deuxième gamelle pour Fumée. J’étais déjà à moitié foutue. 
Le 12 novembre 1995, mon mari m’a entraînée à une expo féline, ma toute première. Je ne connaissais rien aux chats de race, et je suis passée d’une cage à l’autre en m’extasiant devant la beauté des chatons à adopter. Nous avons fait tout le tour du hangar. Et juste avant la sortie, je me suis arrêtée net, comme frappée par la foudre. Dans la dernière cage, une minuscule peluche blanche était roulée en boule autour de la main de son éleveuse qui lui grattait le ventre. Ses poils longs formaient un halo soyeux; elle avait de grands yeux d’un bleu très vif, le museau, les oreilles, la queue et la pattes couleur chocolat, et les orteils tout blancs comme si elle avait marché dans de la farine. En moins d’une seconde, j’ai su qu’elle était à moi. Ou moi à elle. Je n’avais pas la moindre idée du prix d’un Sacré de Birmanie, mais j’étais prête à manger des pâtes pendant six mois pour repartir avec la créature qui venait de me voler mon coeur. 
Eté 1996; Scarlett n’avait pas encore un an…
Puis j’ai divorcé; je suis partie aux Etats-Unis; je suis rentrée à Monpatelin; je me suis pacsée avec l’Homme; j’ai acheté un appartement; je me suis dépacsée; j’ai rencontré Chouchou et émigré à mi-temps en Belgique. D’autres chats sont entrés et sortis de ma vie pendant toutes ces années. Scarlett était la dernière, la plus maladroite, la plus jolie, la plus câline. Elle est toujours restée ma préférée. Plusieurs fois j’ai cru la perdre: quand le Somali acheté à un élevage belge s’est révélé porteur du FIV et qu’elle a été testée positive dans la foulée; quand elle a fait une occlusion intestinale en 1997 et qu’il a fallu l’opérer en urgence; quand elle a été maltraitée par le voisin à qui Chouchou et moi l’avions confiée quelques jours, en 2008, et qu’elle avait perdu le tiers de son poids à notre retour; quand suite à une cystite elle a cessé de s’alimenter il y a deux ans, et failli se laisser mourir de faim sous mes yeux. Ces accidents de parcours mis à part, je crois qu’elle a eu une vie plutôt sympa, surtout que Chouchou l’adorait lui aussi et s’en occupait énormément. J’aime penser que nous lui avons offert la fin douce qu’elle méritait.

Je l’ai trouvée à 3 mois moins 3 jours, frétillante de vie dans une cage d’exposition à Nantes; je l’ai laissée à 17 ans moins 2 jours, inerte sur la table chromée d’un vétérinaire de Bruxelles, après que son dernier battement de coeur a résonné contre ma paume. Aujourd’hui, il ne reste d’elle qu’un corps froid qui attend d’être brûlé dans un tiroir, une absence cruelle au creux de ma main et de l’amour qui n’a plus nulle part où aller.

31 réflexions sur “Scarlett, la fin du voyage”

  1. Très bel hommage, et très belle histoire. Je ne doute pas un instant que Scarlett a eu une belle vie de chat, aimée et papouillée. Je suis très triste pour vous.
    Bon voyage, boule de poils.

  2. Je n'ose imaginer ce que ça a dû être et j'ai les larmes aux yeux rien que d'y penser. Elle est au Pays des Chasses Eternelles et vous lui avez offert une vie magnifique. Courage à vous deux.

  3. Princesse Audrey

    Je ne sais pas quoi dire. J'aimerais te serrer fort dans mes bras pour te réconforter.

  4. Bonjour, j'ai beaucoup pensé à toi hier et à l'immense courage qui a été le tien. Ton texte m'a émue aux larmes tellement il émane l'amour que tu lui portes. Une chose est sure elle a eu beaucoup de chance de vous avoir. XOXO

  5. Juste un petit mot pour te dire que je pense à toi et que je te trouve très courageuse de l'avoir accompagné jusqu'au bout…Scarlett a été aimé jusqu'à son dernier souffle.

  6. Elucubrations

    Que dire à part que je comprend ton chagrin. ayant deux chattes à la maison, je n'ose imaginer comment je serai lorsque le jour de leur dernier voyage sera venu…
    Courage et dis-toi qu'elle vit encore un peu en toi et dans tes souvenirs.

  7. Je suis tellement, tellement triste pour toi….Courage et gros gros hugs….

  8. Ton texte est magnifique, il dit tout le bonheur, l'amour, la tendresse, les inquiétudes et la sérénité qui accompagnent la vie avec un chat. Comme toi, je me souviendrai toujours du corps de ma chatte bien aimée dans mes bras sur la table du véto.
    Je pense à toi, hier, aujourd'hui, demain, après…
    Des tas de câlin
    Sara

  9. Ingrid | Mémorables oublis

    Les larmes aux yeux. Tu m'as fait revivre quelques moments de mon passé avec certains de mes chats. Et je ne connais pas un seul animal qui n'est pas conscient/reconnaissant de l'amour qu'on lui apporte. Elle a été heureuse, elle t'a rendue heureuse. C'est ce qu'il faut garder de cette belle histoire. Toutes mes pensées…

  10. Tasha Gennaro

    C'est un très beau texte, un bel hommage… Je n'ai jamais réussi à garder un chat aussi longtemps (le chasseur étant l'ennemi juré des chats dans la campagne de mon enfance), mais mon enfance et ma jeunesse ont été accompagnées par des chats, je sais à quel point ils sont importants, combien ils enrichissent notre existence par leur douceur, leur tendresse, leur intelligence. Je n'en ai plus (et n'en veux plus) désormais: la séparation avec le dernier, chat de gouttière recueilli tout jeune mais déjà malade, a été trop douloureuse.
    Je te souhaite beaucoup de courage pour affronter cette perte.

  11. Je dépose quelques pensées sur votre jolie histoire d'amour. Et plein de réconfort virtuel.

  12. Merci pour vos pensées les filles. J'ai peu dormi cette nuit, et ça me fait tout drôle d'être seule chez moi aujourd'hui… Nous allons vite éliminer le matériel à chat et redécorer le salon pour tourner la page 🙁

  13. Je t'envoie plein de douces pensées et je te fais un gros hug virtuel 🙁
    Des bises

  14. OOoooh tu n'as pas envie d'accueillir une nouvelle poussinette ? Jamais? Pas tout de suite mais dans quelques mois…c'est tout vide les maisons sans chats…

  15. Non, il n'y aura pas d'autre chat. Nous vivons dans un appartement trop petit, et nous sommes trop souvent absents.

  16. J'ai lu cette chronique avec la plus grande attention et je dois dire que j'en suis bouleversée. Ces phrases résonnent en moi cruellement et j'en éprouve une énorme empathie, pour l'épreuve que tu traverses aujourd'hui. Que cette gentille petite boule de poil repose en paix.

  17. Geekwhisperer

    Je pense qui faut avoir vécu l'amour d'un chat pour le comprendre…

    Je pense à toi…

  18. *A lu l'article ce matin. Pleuré. Relu l'article cet après-midi pour tenter de laisser un commentaire. Repleuré* Bouh… Des pensées, des câlins, je ne trouve pas plus/mieux à vous dire…

    Mélusine

  19. Si elle rencontre Bubulle dans le paradis des chats, envoyez-moi de ses nouvelles.
    Bisous
    JC

  20. Scarlett a sûrement été comblée avec des "maîtres" (terme relatif, je sais) comme vous.
    Bon tournage de page.

  21. Très bel hommage… qui m'a fait pleurer. Elles ont 3 ans et je redoute de vivre un jour la même chose que toi. Je te souhaite du courage et beaucoup d'amour de tes proches pour surmonter ta peine.

  22. Rhaaa moi aussi j'ai la larme à l'oeil parce que ça me fait penser à mes deux gros matous. Ils ont un maximum de caractère et je les adore tous les deux, je serais si triste s'ils devaient partir ('sont encore jeunes).

    On s'attache tellement à ces bestioles que parfois, je l'admets, je regrette presque d'en avoir !

  23. Je viens de rentrer de vacances… quelle triste nouvelle. Bisous et douces pensées.

Les commentaires sont fermés.

Retour en haut