In love with life

Quand je sors de chez Filigranes un gros sac de bouquins au bout du bras, il est 18h50. La canicule est retombée, cédant la place à une chaleur idéale sous un bel azur moutonnant; Chouchou bosse jusqu’à minuit ce soir, et rien ne m’attend à la maison qu’un reste de gratin de chou-fleur/broccoli. Ma décision est vite prise: cap sur le parvis Saint-Boniface. 
La terrasse du Mano a Mano, restaurant italien aux pâtes excellentes mais à la salle par trop bruyante, commence juste à se remplir. J’annexe l’avant-dernière table sur le bord et sors de mon sac le nouvel Audur Ava Olafsdòttir que je viens juste de m’offrir. La serveuse passe prendre ma commande: ce sera des orrechiette alla siciliana. A peine a-t-elle disparu à l’intérieur que je veux la rappeler pour lui demander plutôt des fettucine aux scampi. Ou des pappardelle à la truffe. Bon, tant pis, ça ira comme ça. 
Au milieu de la place, un trio de musiciens attend que les terrasses soient pleines pour commencer à jouer. A ma gauche, un homme bronzé qui doit avoir mon âge est assis seul, comme moi, et déguste, comme moi, un verre de vin tout en lisant. A ma gauche vient s’asseoir un couple entre deux âges qui se met à discuter très vite en espagnol, langue que je ne comprends pas assez bien pour me laisser distraire par la conversation. Mon héroïne écrase une oie sur la route avant de se rendre chez son amant, et décide de faire un crochet par l’épicerie pour acheter de quoi la farcir. Ca commence bien!
Dans un français parfait, à peine mâtiné d’une pointe d’accent, mon voisin de droite s’excuse pour sa curiosité et me demande ce que je lis. Il a un sourire franc qui plisse le coin de ses yeux derrière ses petites lunettes à monture métallique. Nous échangeons quelques considérations sur les romans qui ne méritent pas d’être finis. Il me confie qu’il a abandonné « Guerre et paix » à dix pages de la fin parce qu’il n’arrivait à s’attacher à aucun des personnages; puis mon assiette arrive et il me souhaite bon appétit avant de reporter son attention sur sa compagne. 
Moi qui mange si vite d’habitude, je déguste mes pâtes lentement, en savourant chaque bouchée et chaque seconde de cette belle soirée. Les musiciens se mettent à jouer, et je suis surprise de trouver ça agréable. Leurs chansons sont entraînantes mais pas exagérément connues; le guitariste a une belle voix et le bon goût de ne pas trop la pousser; deux des cordes de la contrebasse sont jaunes fluo et l’accordéoniste ressemble à un chef de clan corse. Leurs accords se mêlent idéalement à la douceur de l’air. Quand ils passent parmi les tables, tout le monde ou presque dépose une pièce dans leur bourse, du jamais vu!
La serveuse en petit top à fleurs vient chercher mon assiette et m’énumère les desserts avec un vrai sourire. Plus tard, peut-être commencera-t-elle à grimacer sur ses jambes lasses, mais pour l’heure, elle semble presque passer un aussi bon moment que moi. Je prends quelques photos, mais il faudrait être bien plus douée que moi pour parvenir à capturer la perfection de l’atmosphère. Il me semble qu’à cet instant, rien de mal ne peut arriver dans le monde. Et je sais que c’est une illusion, mais l’espace d’une heure, je la laisse me bercer. Ce soir, je suis amoureuse de la vie. 

7 réflexions sur “In love with life”

  1. Un passage chez Filigranes, la terrasse du Mano et Bruxelles sous le soleil, effectivement, ça frôle la perfection 🙂
    Merci pour ce billet plein d'optimisme de grand matin!!

  2. Tasha Gennaro

    Merci pour ce beau billet, qui me met de bonne humeur, après une nuit et une soirée morose… Oui, heureusement qu'il y a des moments comme celui que tu évoques, ces instants où, je ne sais comment dire, tout semble en place, où le temps est comme suspendu. C'est sans doute ça, le bonheur, pas un sentiment permanent, mais un ressenti éphémère et d'autant plus précieux.
    Bonne journée!

  3. Whaou !

    Si l'atmosphère n'a pas été capturée par les photos elle l'a été par les mots.

  4. De mon côté, je suis rentrée et j'ai profité du jardin, avec la nuit et la fraîcheur qui tombaient, et un verre de vin…

  5. Voilà une bien jolie soirée, dont tu as su pleinement retranscrire l'atmosphère 🙂

    Merci pour ce partage !

  6. Pascaline Loricourt

    J'ai adoré lire cet article. Tu écris bien. Comment fais tu pour te rappeler tout ces détails ? Si je devais écrire un moment comme celui là, j'en oublierai la moitié. Je ne peux même pas te dire comment était habillée ma collègue avec qui j'ai déjeuné ce midi !

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