L’amitié dure trois ans

Certains de mes amis font partie des piliers de mon existence. Ce sont des gens que je connais depuis au moins dix ans et parfois plus de vingt. Il m’arrive de rester très longtemps sans les voir, mais quand on se retrouve, c’est toujours avec le même plaisir et le même sentiment de familiarité. S’ils en avaient besoin, je lâcherais tout ce que je suis en train de faire et je sauterais dans le TGV suivant quitte à payer mon billet plein tarif pour leur venir en aide. Ces gens-là, je peux les compter sur les doigts d’une seule main. A côté de ça, j’ai un tas de copains/copines avec lesquels je peux très bien me contenter d’échanger des âneries ou des encouragements sur Facebook. Quand on se voit, c’est toujours un plaisir; quand on ne se voit pas, ils ne me manquent pas, et c’est très bien ainsi. Ils sont la part légère de l’amitié – pas forcément superficielle, juste dépourvue d’obligation.
Entre les deux, il y a des gens dont je suis proche de manière cyclique, des gens que je rencontre et avec qui j’accroche généralement assez vite et assez fort. Pendant deux, trois, quatre ans, ils tiennent une place très importante dans ma vie. Je n’ai pas de relation fusionnelle avec eux, parce que ça n’est pas mon truc, mais disons qu’on se voit beaucoup et qu’ils sont les premiers à qui je pense quand j’ai envie d’organiser une sortie. Et puis, comme je suis une créature en perpétuelle mutation, petit à petit, je me sens de moins en moins de points communs avec eux. Nos chemins divergent, parfois parce que c’est moi qui part à l’ouest (ou à Friteland), parfois parce qu’eux aussi ont dévié de la trajectoire sur laquelle ils étaient au moment de notre rencontre. Bientôt, je n’ai plus grand-chose à leur dire et plus vraiment envie de partager des expériences avec eux. Et je déteste me forcer; je déteste faire semblant quand le coeur n’y est plus.
Je sais que certains ont du mal à comprendre mon éloignement plus ou moins brusque, que ça les attriste. Je ne vais quand même pas leur sortir la vieille excuse toute pourrie des ruptures amoureuses: « Cépatoicémoi ». Moi qui ai changé, moi qui ne m’intéresse plus aux choses qui nous ont rapprochés un temps. C’est pourtant la stricte vérité. Et de ce point de vue, on dira ce qu’on veut sur Facebook (les sujets de critiques justifiées ne manquent pas), mais c’est un outil idéal pour une rupture amicale en douceur. Ca permet, au lieu de disparaître lâchement dans la nature, de continuer à prendre des nouvelles de gens qui ont compté, de savoir s’ils vont bien car c’est toujours tout ce qu’on leur souhaite, de maintenir un lien qui ne soit ni pesant ni envahissant.
Parfois aussi, des gens que j’ai trouvés très attachants finissent par m’exaspérer. Un peu comme dans une histoire d’amour, quand vous craquez pour un mec charmeur et qu’à terme, son besoin pathologique de flirter avec tout ce qui porte jupon vous donne juste envie de lui tirer une décharge de chevrotine en pleine figure. (Oui, c’est du vécu.) Ou que vous vous laissez attendrir par un Caliméro en puissance dont la sensibilité vous touche – sauf qu’au bout d’un an ou deux, vous avez juste envie de le prendre par les épaules et de le secouer comme un prunier en lui hurlant: « Mais bouge-toi, bordel! Cherche des solutions à tes problèmes au lieu de les ruminer les épaules basses et la tête pendante! ».
Pendant un certain temps, j’ai un peu culpabilisé de fonctionner ainsi. Je me disais: « Tu te lasses vite des autres une fois que tu as l’impression d’en avoir fait le tour, quand même ». Sauf que mes amis de longue date, je les connais par coeur; ils n’ont pas forcément beaucoup changé depuis notre rencontre, et tout en ayant conscience de leurs défauts (qui n’en a pas?), je les aime exactement tels qu’ils sont pour les siècles des siècles. Non, il y a vraiment des fois où c’est pas moi, c’est l’autre. Sauf que je ne me vois pas dire ça à quelqu’un, parce qu’il faut vraiment qu’on m’ait très mal traitée pour que je cherche à faire du mal en retour. Et aussi parce que la dernière fois que j’ai balancé un « Tu me gonfles, dégage de ma vie » (oui, en ces termes exacts), je m’en suis voulu après. Pas sur le fond, mais sur la forme, qui aurait pu être un poil plus élégante. A ma décharge, nous n’étions pas encore entrés dans l’année de la modération.
Et donc, je me pose la question: comment couper les ponts avec un ami qui est devenu un boulet? Faut-il se faire de plus en plus rare en espérant qu’il comprendra tout seul? S’il demande ce qui se passe, faut-il être franc au risque de le blesser, ou vaut-il mieux lui mentir pour le ménager? Je n’aime ni la brutalité ni l’hypocrisie, mais je crains de ne pas être assez diplomate pour arriver à louvoyer entre ces deux extrêmes…

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