Où mon équilibre mental est remis en cause par une tueuse de dragons

J’ai déjà parlé ici de mon incapacité à utiliser une liseuse tant, pour moi, l’acte de lecture est indissociable des sensations procurées par un livre papier. Vous trouviez que ça fait de moi un dinosaure psycho-rigide, voire une personne à qui il manque une pomme pour faire une cagette (ou une fourchette pour compléter le panier de pique-nique)? 
J’ai mieux. 
Pendant les Imaginales, je discute avec une de mes éditrices. Je lui demande si le premier tome d’une nouvelle série que je traduis pour elle marche bien en librairie. Elle me répond: « Oui, c’est même le meilleur démarrage de ma collection juste derrière celle de Jasper Fforde ». Je m’écrie: « Jasper Fforde? Quelle série de Jasper Fforde? J’adore Jasper Fforde! Pourquoi on me dit jamais rien? » Touchée par mon enthousiasme (ou, peut-être, consternée par mon ignorance crasse), elle propose de m’envoyer les deux premiers tomes de la série en question. Et comme c’est une fille de parole, je les reçois dans la semaine qui suit.

D’entrée de jeu, je bloque sur la couverture, pour laquelle a été utilisée une photo. J’ai toujours l’impression qu’une oeuvre de fantasy ou de fantastique devrait être illustrée par un dessin plutôt que par un cliché plus ou moins réaliste puisque, justement, on n’est pas dans la réalité. Cela dit, je devine très bien les considérations marketing qui ont présidé à ce choix. Je jette un coup d’oeil au prologue. 
« A une époque, j’ai été célèbre. On a vu ma tête sur des T-shirts, des badges, des tasses à thé et des posters. J’ai fait la une des journaux, je suis passée à la télé, et j’ai même été invitée au Gogi Baird Show. Le Quotidien des Palourdes m’a proclamée « L’adolescente la plus remarquable de l’année », et j’ai été élue femme de l’année par Mollusque-Dimanche. On a deux fois essayé de me tuer, on m’a menacée de prison, j’ai reçu seize demandes en mariage et j’ai été déclarée hors-la-loi par le roi Snodd. Tout cela, et plus encore, en moins d’une semaine. 
Je m’appelle Jennifer Strange. »
Je commence à lire. L’histoire est chouette, cocasse et absurde juste comme il faut, et en même temps doublée d’une critique très peu voilée de certains travers humains, notamment la cupidité et l’arrogance qui nous poussent à détruire notre environnement sans nous préoccuper des conséquences à long terme. Pourtant, j’ai du mal à rentrer dedans, et je me surprends à survoler certains passages. La faute à la traduction? En partie. Non qu’elle soit mauvaise, mais l’humour particulier de Fforde passe moins bien en français, je trouve. Ca « claque » moins, au niveau des formules et des sonorités. 
Mais ce n’est pas tout. En analysant mon léger malaise face à ce livre, je suis bien obligée d’admettre que je bloque sur un tas de détails sans rapport aucun avec l’oeuvre elle-même. Le grand format, déjà. Pour moi, c’est le genre de bouquin qui se lit en poche, qu’on peut maltraiter un peu au lieu d’y faire attention en raison de son prix et de son encombrement. Ensuite, la blancheur du papier, son épaisseur et la police utilisée – que je serais bien incapable d’identifier, un truc assez bateau. Je me rends compte que pour prendre vraiment plaisir à ma lecture, j’aurais eu besoin d’un papier plus fin, crème ou un peu jaune, et d’une autre police que je serais tout aussi incapable de nommer, assez bateau également, mais pas la même. 
Sur ce, je dois vous laisser. Les ambulanciers insistent pour que je prenne mes pilules roses et que j’enfile une jolie chemise blanche avec les manches qui s’attachent dans le dos avant qu’ils m’emmènent en promenade. 

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10 réflexions sur “Où mon équilibre mental est remis en cause par une tueuse de dragons”

  1. Fais gaffe en te promenant, avec ce type de chemise on a du mal à se relever quand on tombe ^^

  2. Natacha (from Limoges)

    Bonjour! Ah ça alors, une nouvelle série de Jasper Fforde, quelle bonne nouvelle! Je ne me remettrai jamais de ce pauvre Hamlet ne sachant quel yaourt choisir dans le réfrigérateur (in Sauvez Hamlet). Et non, pas besoin de prendre des pilules roses, le format, la casse, le papier, c'est très important. Moi ce sont les grands formats Rivages/Thriller que je déteste (je lis beaucoup de romans noirs) : trop grands, je n'aime pas la maquette, beurk! Il faut vraiment que ce soit un Dennis Lehane pour que je ne patiente pas jusqu'au poche. Je comprends par ailleurs que tu n'aimes pas la liseuse, mais moi j'y suis passée et je suis contente d'alterner entre les deux supports. L'objet est bof, mais à la lecture c'est agréable, d'autant que je règle la taille de la police, pour mes vieux yeux de 40 ans c'est bien (ceci dit, c'est un avantage des grands formats). Surtout, ma maison n'est pas extensible, et j'accumule bien assez de livres (que pour la plupart je ne relirai jamais, à supposer que j'arrive à LIRE tout ce qu'il y a dans la PAL)… Dernier avantage de la liseuse : le poids plume, je me déplace beaucoup et mon vieux dos a déjà bien assez de l'ordinateur qui doit m'accompagner partout…
    Bon, ben je vais aller voir si je peux acheter le Jasper Fforde en anglais, puisque tu dis que son style ne passe pas trop bien en français, ce coup-ci. Merci pour tes commentaires sur les livres, j'ai adoré Le protectorat de l'ombrelle (également conseillé par une amie, il est vrai).

  3. On ne dira jamais à que point lire est un plaisir complet.
    Il y a une série de romans d'Europe du nord imprimés sur papier rose, la première fois que j'en ai eu un en mains je me suis dit que je n'allais pas lire sur du PQ, à ma grande surprise, je m'y suis faite.

  4. Va falloir prévoir une cellule pour deux.

    (pis QUOI Fforde a recommencé une série ??? Rhâââââ *need*)

  5. aaaaah mais je me sens moins seule !
    "Bienvenue à la clinique des Papillons Blancs madame, tout va très bien se passer, enfiler la petite chemise qu'on vous nous les bras dans le dos"…

  6. Je suis d'accord avec toi sur l'objet livre : à mes yeux, rien ne le remplacera. En revanche, je suis passée du côté obscur de la liseuse en adoptant un petit K****e le mois dernier, et l'adaptation se passe bien. Il y a un vrai confort de lecture (contrairement à la lecture sur écran que je pratique beaucoup trop) et j'ai le plaisir de (re)découvrir des classiques gratuits voire introuvables dans le commerce, sauf dans des éditions savantes (en ce moment des oeuvres mineures d'Honoré d'Urfé et de Madeleine de Scudéry). Après, j'ai un gros souci : je n'aime rien tant que tourner les pages pour savoir quand s'arrête mon chapitre et là… impossible 🙂

    Quant à Jasper Fforde… raaaah ! Merci pour cette info qui fera mon bonheur dans les semaines à venir.

  7. Deux nouvelles séries de Jasper Fforde sont sorties cette année en français. Et elles sont toutes deux excellentes… en vo :o) Je n'ai pas lu les versions françaises, je ne peux pas juger. Mais je conseille fortement Jennifer Strange (en VO c'est vraiment jouissif et la couve est top) et Shades of grey (paru en français chez Fleuve noir et traduit par un excellent faiseur) qui a la même couve dans les deux langues. Shades of grey est le meilleur des deux, inventif, incisif, une critique de la société de classe anglaise absolument délicieusement cruelle :o)

  8. Ben voilà, bravo les filles, qui va encore aller claquer son argent sur amazon en bouquin? C'est Sophie. Qui en plus sera super contente après coup? c'est encore moi 🙂 Cool, des nouveaux Jasper…

  9. Je pense qu'il va falloir demander la création d'un HP spécial parce que je suis comme toi. Pour ma part, j'adore les romans noirs mais ne peut concevoir de les lire en grand format.

    Quant à la liseuse, Monsieur Mon Epoux a bien failli m'en offrir une il y a quelques temps mais il a été sauvé par ma réflexion lors d'un reportage qui leur était consacré.

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