Le rire de Catherine

Le thème du stage de visualisation que j’ai fait le week-end dernier était la généalogie, ou plus exactement: comme se libérer des comportements répétitifs (alcoolisme, maltraitance, échec professionnel…) que l’on retrouve d’une génération sur l’autre. Les deux premières journées et demie ont été consacrées à des exercices censés nous mener jusque là, et dont j’ai bien bénéficié. Le dimanche après-midi, en revanche, j’ai passé mon temps à expliquer que je ne voyais rien parce que je ne me sentais pas concernée. Oh, ma famille n’est pas exempte de drames ni de secrets, mais ce sont des occurrences isolées. Je ne discernais aucun motif qui revienne régulièrement, pas même un prénom que l’on refilerait aux nouveaux-nés en hommage à un quelconque ancêtre. 
Et puis hier matin, pendant que mon père est à l’hôpital pour sa séance de chimio bimensuelle, ma mère m’annonce qu’elle doit me parler, qu’elle a eu une révélation depuis ma dernière visite, en mars, et qu’elle pense que ça pourrait m’aider aussi. Je sens venir les confidences embarrassantes, et instinctivement je me raidis. Or donc, mon arrière-grand-mère maternelle, orpheline très tôt, aurait été recueillie par un oncle qui abusait d’elle. Pour se sauver, elle a épousé le premier venu, et eu bien malgré elle quatorze ou quinze enfants dont une seule est arrivée à l’âge adulte: ma grand-mère. Laquelle aurait également cherché à fuir sa famille plus qu’à s’unir par amour quand elle a dit « oui » à mon grand-père. Tous deux n’étaient pas vraiment faits pour avoir des enfants, et si ma mère, son frère et sa soeur n’ont matériellement manqué de rien, ils ont toujours eu de grosses carences affectives. Du coup, quand mon père a dragué ma mère, devinez quoi? « J’ai fini par l’aimer après, c’est pas la question, hein… » 
J’ai toujours pensé que mes grands-parents vivaient une sublime histoire d’amour, et que ma mère était folle de mon père depuis le début. Deux mythes qui volent en éclats à mon corps défendant. Soit. Légèrement perplexe, je demande: « Mais, euh, pourquoi tu me racontes ça? » « Parce que j’ai vu l’autre jour une émission de Sophie Davant sur les motifs qui se répètent d’une génération à l’autre, l’influence des ancêtres sur notre destinée à chacun. Ca m’a fait réfléchir, j’ai réalisé tout ce dont je viens de te parler et je me suis sentie beaucoup mieux après, donc je pensais que ça te serait utile aussi. »
Je ne suis plus perplexe, je suis stupéfaite et vexée. J’ai vécu en célibataire une grande partie de ma vie d’adulte. Je n’ai jamais adhéré au mythe du prince charmant, jamais compté sur un homme pour me sauver de quoi que ce soit. J’ai toujours été matériellement indépendante, toujours très bien supporté la solitude et préféré celle-ci à la compagnie de quelqu’un que je n’aimais pas à la folie. Du point de vue du caractère et des réactions, je suis le parfait opposé de ma mère. Qui, à 64 ans, continue à clamer que les carences affectives de son enfance sont responsables de tout: ses tendances boulimiques, son incapacité à tenir tête à mon père et à prendre la moindre décision par elle-même… Elle a manqué d’amour petite, donc il est normal et justifiable qu’elle soit devenue une adulte passive et dépendante. 
Je me rappelle la conversation que j’ai eue avec Catherine à ce sujet – le fait que, quelques jours plus tôt, j’ai symboliquement coupé le cordon de l’agacement que ma mère m’a toujours inspiré en raison de ces traits de caractère. Que j’ai accepté que nous étions deux personnes distinctes et qu’elle avait parfaitement le droit de se complaire dans sa faiblesse. Aussi, c’est sans m’énerver que je lui réponds que je ne me sens pas concernée par l’histoire des femmes de la famille. Que les temps ont changé, qu’on peut désormais envisager d’être autre chose qu’une épouse et une mère. Qu’on a tous nos démons et nos traumatismes d’enfance mais que j’ai choisi, moi, de combattre les miens et de les terrasser au lieu de les laisser conditionner ma vie et me vouer au malheur. Ma mère semble penser que ça n’est pas possible, qu’il existe une sorte de déterministe affectif auquel on ne peut pas échapper. Essayer de la convaincre serait une perte de temps et d’énergie. Je laisse filer. 
« Quand même, je me sens mieux de t’avoir parlé. » « Super, parce que moi pas. »
Quelque part à Barcelone, Catherine rigole. 

9 réflexions sur “Le rire de Catherine”

  1. Miss Sunalee

    Ce qui serait intéressant à savoir, c'est l'histoire de ta famille paternelle, parce que nous sommes tous faits de deux personnes et de deux histoires !

  2. Aucune chance que mon père commence à me la raconter comme ça! Mais pour ce que j'en sais, de ce côté-là aussi, mes grands-parents avaient un mariage sans amour du côté de ma grand-mère. Cela dit je pense que jusqu'à récemment, c'était un schéma assez classique…

  3. Miss Sunalee

    Ce qui me rend curieuse du coup de comment ça s'est passé chez mes grands-parents !

  4. La princesse

    Je ne crois pas qu'il y aie déterminisme, vraiment, mais peut être est ce quand même bon à savoir. Je pense que c'est toujours mieux de savoir.

    Il faudrait que je me renseigne pour en savoir davantage du coté de mes grands parents paternels.

    (mais j'ai du mal à imaginer que les mariages faits à cette époque aient été des mariages d'amour. Je pense qu'il s'agissait de mariage de raison, de commodité, d'inclinaison, peut être, mais les grands transports romantiques dans les Cévennes il y a 80 ans, j'y crois peu..)

  5. Mais pourquoi est-ce que Catherine rirait? il me semble que tu as rompu la transmission de l'affaire non? Bravo à toi.

    Moi, je suis résolument une enfant de l'amour. Quand j'étais petite ma maman m'expliquait que si un jour mon père venait à déceder avant, elle, telle Hitcliff, elle irait le rechercher dans sa tombe. Et on voudrait que je sois rationnelle. Mais, pas de panique, nous avons d'autres démons.

  6. Autre temps, autres mœurs :o)
    Je crois que l'époque à laquelle nous sommes nées nous a aussi bien aidées à faire d'autres choix :o)

  7. Pascaline Loricourt

    Et bien j'espère bien qu'il n'y a pas de déterminisme qui tienne parce que vu mes antécédents, je suis mal barrée.

  8. *Soupire* Ha, la famille… et toutes les choses que la mienne ne prononcera jamais à moins que j'aille les chercher à la pelleteuse.
    Qu'il y ait des choses qui se jouent dans l'enfance, d'accord. Par contre, je ne pense pas qu'il y ait "déterminisme". J'espère qu'il n'y a pas, parce que sinon, avec ce que je constate aujourd'hui pour le peu d'informations que j'ai sur la mienne, comme Pascaline, je suis mal barrée ^^°

    Mélusine

  9. J'ai une amie qui en ce moment vit ce genre de "découverte" sur la psychologie "trans-générationelle". Son fils tente par tous les moyens de rompre cette boucle, mise en place depuis quelques générations. Pourtant il n'est pas assez grand pour comprendre, personne ne lui a expliqué l'histoire familiale, mais lui, ressent un malaise et refuse de se laisser faire.
    Tu es peut-être comme ce petit garçon, tu as mis fin à une boucle mise en place sans vraiment en avoir conscience et du coup développé un caractère fort, indépendant à l'opposer de celui de ta maman…
    Je trouve la psychologie trans-générationelle vraiment très intéressante, ça ne résout pas tout, mais c'est parfois bien d'aller voir un peu plus loin…

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