Qui a deux trois maisons perd la raison?

Depuis quelques années déjà, je ne sais plus dire où je vis ni d’où je suis. J’ai grandi à Monpatelin et, clairement, une partie de mon coeur reste là-bas même si la plupart des gens que j’y connaissais sont partis s’installer ailleurs. Des fantômes de moi guettent les grattements nocturnes des souris dans un studio miteux de la rue Gramat à Toulouse, dansent un peu ivres dans les caves d’Aix-en-Provence ou écument les boutiques de bédé à Nantes. Vautrés dans un canapé du Borders de Lancaster, Pennsylvanie, ils dévorent des bouquins de développement personnel en espérant y trouver une clé. Assis à l’arrêt Trois Communes de Vitry-sur-Seine, ils attendent le 183 avec leur sac de voyage. 
Aujourd’hui, j’ai une brosse à dents à Monpatelin, une autre à Bruxelles et encore une autre dans un petit bled près de Toulouse. Trois paires de pantoufles toutes achetées chez Etam Lingerie et trois tubes de crème pour peaux intolérantes Avène, histoire de ne pas passer ma vie à les trimballer. Je réserve mes billets de train à minuit une trois mois jour pour jour avant la date de mes voyages. Je connais le bon plan pour caser mes bagages dans les nouveaux TGV avec les sièges oranges et violets, et je sais quelle enseigne de boulangerie fait les meilleurs sandwichs. Je passe mes commandes internet et mes annonces eBay une semaine avant de rentrer à Monpatelin parce que les frais de poste et de douane sont moins élevés en France. De Bruxelles, je descends des speculoos Dandoy et des pièces d’euro belges ou néerlandaises à mon père. De Toulouse, je ramène des lentilles corail, des fraises séchées et des amandes roses achetées au Paradis Gourmet. A Monpatelin, je stocke mes bouquins et case tous mes rendez-vous médicaux. Mon porte-cartes bourré massacre contient d’un côté les cartes de fidélité des magasins français et de l’autre, celles des magasins belges. Je dis « escagasser » et « non, peut-être ». Je jongle avec deux trousseaux de clés et deux téléphones portables (généralement déchargés l’un comme l’autre, histoire de ne pas faire de jaloux). 
Par moments, ce mode de vie me pèse. Il réclame une sacrée organisation et génère pas mal de petits tracas matériels. J’aimerais avoir toutes mes affaires sous un même toit, ne pas vouloir systématiquement porter le T-shirt qui est resté à mille kilomètres de là. Passer moins de journées entières dans des trains en retard neuf fois sur dix, me casser moins le dos avec le monstre turquoise. Surtout, j’aimerais ne pas être perpétuellement en manque de quelqu’un. Mais je me dis que par les temps qui courent, avoir trois maisons et trois fois des gens qui m’aiment, c’est une sacrée chance que je devrais m’efforcer de savourer davantage. 

17 réflexions sur “Qui a <s>deux</s> trois maisons perd la raison?”

  1. Myriam, qui n'est plus une elfe fée

    J'ai l'impression que tu as lu dans mes pensées du moment avant d'écrire ce post.
    Cette distance entre Paris et Bruxelles me pèse. J'ai l'impression de perdre mon temps loin de mes amis et de ma famille et pourtant je ne peux me résoudre à quitter l'homme que j'aime.
    Comme toi, j'ai deux trousseaux de clés, j'ai deux téléphones. Dés que j'ai au moins deux jours de repos d'affilée je pars, je cours pour voir tout le monde, dormir est une perte de temps et la fatigue se fait de plus en plus sentir…
    Contrairement à toi, je n'arrive pas à voir du positif dans cette situation…
    Mes amis me réclament, comprennent que je sois partie loin pour être heureuse et épanouie, ne comprennent pas pourquoi je reste alors que je ne le suis clairement pas.

    Une question… Toi et Chouchou, vous n'avez jamais pensé à vous installer dans le sud ?

  2. Pas à temps plein, non. Même si Chouchou trouvait du boulot là-bas, je ne m'enterrerais pas à Monpatelin à temps complet. Je l'ai fait pendant 7 ans avec mon ex après avoir vécu dans plein d'autres endroits, et j'étais super malheureuse. Le soleil, c'est bien, mais en l'absence quasi-totale de vie culturelle, je tournais en rond comme un ours en cage. J'ai trop de temps libre pour habiter dans un endroit où il n'y a rien à faire (à part aller à la plage six mois par an, ce que je déteste).

  3. Je comprends mieux pourquoi je vais pas bien, avec mon Paris/Epinal et mes 16 déménagements 😛 Au moins toi tu as une ville d'enfance 😉

  4. J'aime beaucoup ce billet très joliment écrit. (Tu as un peu développé l'idée que tu évoquais dans ton billet sur Pornic, non ?) Je comprends ta lassitude, je l'éprouverais sûrement aussi si j'étais à ta place, mais je crois que ça ne me déplairait pas d'avoir autant de toits pour m'accueillir. Nous sommes de vrais saltimbanques, avec Olivier, et il nous est difficile de nous fixer dans un seul endroit. Si nous repartions (déjà) de Bretagne, les beaux paysages nous manqueraient (le temps pourri beaucoup moins). Je partage ton sentiment vis-à-vis du Sud et de l'absence de vie culturelle, puisque c'est déjà un peu ce que je ressens ici, en Bretagne. J'aimerais avoir un pied-à-terre à Paris, même si c'est très sympa aussi de squatter chez les amis. J'aimerais surtout passer six mois de l'année au Colorado, l'endroit qui m'inspire le plus au monde. Nous verrons quand les enfants seront grands. (Élever des enfants aux États-Unis à l'heure actuelle me paraît être une très mauvaise idée. C'est la première fois en dix ans que je me réjouis pleinement d'être restée en France.)

    En l'état, je profite des avantages de la Bretagne en rêvant un peu déjà à ce que nous ferons par la suite.

  5. Cécile de Brest

    J'ai l'impression quant à moi, de n'être de nulle part, même si je revendique haut et fort ma bretonnitude (comme tous les Bretons, je cois que nous sommes particulièrement chauvins).
    Bref, je déménage tous les deux ans depuis 10 ans et toujours loin de ma famille. Du coup, les vacances c'est toujours la course, un temps infini perdu dans les trajets et une fatigue sans bornes au final.
    J'en ai assez de tous ces changements mais d'un autre côté, j'aime l'idée de connaître plein de coins de France.
    Mais j'ai bien conscience que j'ai beaucoup de chance de vivre avec mon mari et mes enfants tous les jours, ce n'est pas forcément le cas de tout le monde.

    Depuis quelques temps, l'idée de partir vivre définitivement à l'étranger (au Québec) nous titille, mais je ne pense pas que nous soyons encore mûrs même si j'y pense de plus en plus…

  6. La Princesse

    Tu n'as jamais croisé mes fantômes dans le TGV ? J'aime bien cette idée, et je pense qu'il doit bien y en avoir encore quelques uns, avec les cheveux rouge pétard, en gare d'Avignon, qui attendent le train..

    Je dis toujours escagasser et empéguer, mais chaque fois que je rentre, je me rends compte que je ne serais probablement pas très heureuse dans le sud à long terme.

  7. ElanorLaBelle

    Je finis tout juste mes études, donc je ne suis pas à un même moment de ma vie que toi, mais il n'empêche que j'ai cette sensation d'être partout et nulle part à la fois. J'ai passé mon enfance à déménager, et depuis six ans
    j'ai vécu à Rennes, Lyon, Budapest, Nottingham, Nantes, et c'est certain qu'en septembre ce sera une nouvelle destination par la force des choses. J'aime ce mouvement, même si parfois ça me pèse.
    Mon attache c'est la Bretagne. Pas un lieu précis parce que j'ai trop souvent déménagé, mais j'y suis née, mes parents y vivent.
    @cecile de brest: le chauvinisme breton me touche également, j'ai une forte tendance à revendiquer ma bretonnitude dès que je dépasse Rennes 🙂

  8. Je me dis qu'une fois que tu as goûté à un bout d'une autre vie suffisamment plaisant ailleurs, t'es foutu-e. Même si tu n'y a plus de tube de crème qui traîne, il y restera un bout de toi.

    Il y a un bout de moi dans ma Franche-Comté natale où j'ai passé tant de vacances enfant et où je me sens toujours si bien, il y a un gros bout de moi sur les bords du Léman, il y a un bout de moi tenace à San Francisco où je vais devoir retourner vivre un jour… et là je sens déjà que j'ai posé un bout de moi dans mon petit "paese" de campagne lombarde…

    Fou-tues, je te dis.

    Mais c'est intéressant, non?

  9. Gagner au loto me donnerait aussi de quoi bloguer. Et des sous pour aller partout, tiens. (Ceci est un appel du pied à l'univers, merci bisous)

    1. J'ai recommencé à jouer (petit) au loto toutes les semaines… A cause d'une remarque de ma conseillère en assurance. Huhu.

  10. Miss Sunalee

    En y réfléchissant, je me rends compte que je n'ai jamais habité au-delà du triangle Louvain / Louvain-la-Neuve / Saint-Gilles, et je suis restée le plus longtemps à mi-chemin entre Louvain et St-Gilles…

  11. Ha bein je me demandais ce que tu ressentais en vivant presqu'avec un sac quasi toujours prêt à côté de toi. Le peu de fois où je suis partie ailleurs, j'ai toujours eu un sentiment énorme d'appartenance à la Belgique. J'ai besoin d'un toit, je déteste être entre deux chaises, ça me donne un sentiment d'inconfort très angoissant. Maintenant il est certain que mes collègues et amis de Madrid me manquent énormément et que les sous m'empêchent d'y retourner régulièrement… Mais pour rien au monde je ne saurais me diviser entre plusieurs vies, je n'en suis pas capable.
    Puis il y a les avantages sociaux à vivre en Belgique dont peu se rendent compte et qui rendent l'idée de la quitter inconcevable pour moi (je travaille hein, je profite pas du système… Mais j'ai dû passer par la case "soins de santé" en Espagne et il y avait de quoi partir en courant…).
    Enfin, j'imagine que ça doit être vraiment dur et c'est quelque chose que j'admire chez toi comme chez La Princesse ou d'autres qui sont divisées entre deux vies. Beaucoup de courage à toutes!

  12. "Les souvenirs de ceux qui n'ont plus de maison
    Se traînent dans un bar ou sur une autoroute
    A cent soixante à l'heure, ils se tirent et s'en vont
    A cent soixante à l'heure, tu choisis pas ta route
    Tu choisis pas ta route."
    L. Ferré

    Bisous
    JC

  13. A ma toute petite échelle, c'est quelque chose que je comprends bien. Certes, entre ce que j'étais avant et ce que je suis maintenant en ayant accepté de déménager non seulement pour mon boulot mais ausis par amûûûûr, il n'y a finalement qu'une distance Liège-Bruxelles, qui n'est pas la mer à boire, mais il y a des jours où je regrette vraiment de ne pas pouvoir voir mes amis de Liège juste pour "le café d'une demi-heure" qui fait du bien, à l'improviste. Chaque visite est un plan de bataille avec l'agenda sous le bras, en essayant de voir le plus de monde possible, et ça peut s'avérer plus frustrant qu'autre chose, la plupart du temps…Courage, courage, donc!

  14. Hello toi, Je connais et je comprends le principe des "chez-moi" multiples. Je rejoins Madame Joe sur les petits bouts de soin qu'on laisse dans les endroits qu'on a aimé, il y a des petits bouts de moi, dans un cottage à Greenwich, dans un tea room à Exeter (Uk), à Madrid dans le quartier Gay (hé hé.
    Aujourd'hui encore, je me partage entre notre maison à BL et mon appart à Forest. Je constate que j'y vais de moins en moins, pourtant je ne peux m'empecher de me demander ce que cela me fera de n'avoir plus qu'un seul endroit, à partager avec un autre en plus.
    Je pense que cette dualité me convient, il existe milles autres solutions beaucoup plus pratiques/logiques/rentables, j'en déduis donc que c'est ce qui me convient.

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