Le ver dans le fruit

Marché du dimanche à Monpatelin. J’ai vaincu ma flemme congénitale pour sortir profiter un peu du beau soleil printanier. En robe légère et sandales compensées qui me permettent de m’extasier sur mes orteils vernis enfin rendus à la liberté, je me dirige vers le centre du village.

Je n’ai pas besoin de grand-chose, mais j’aime cette ambiance, les vendeurs qui bavardent avec leur clientèle en forçant un peu l’accent du coin, les couleurs éclatantes des étals de fruits et légumes, la bonne odeur des poulets rôtis qui tournent lentement sur leurs rangées de broches, les fromages que j’ai envie de goûter tous, la charcuterie corse dont je me tiens soigneusement à l’écart, les microrobes à trois francs six sous et les tops moulants archi-décolletés qu’affectionnent les cagoles, même les bijoux en toc doré que je ne porterai jamais. Les enfants aux jambes nues et déjà brunes zigzaguent entre les stands. Plantés au milieu de la rue, les adultes discutent tranquillement sans se soucier le moins du monde de gêner le passage. 

Je constate avec plaisir que quelqu’un a repris la presse fermée depuis trois ou quatre mois. C’est triste, un village provençal où on ne peut pas acheter le journal et des cartes postales kitsch avec deux palmiers sur fond de coucher de soleil. A la bonne boulangerie de la place de l’église, je fais héroïquement la sourde oreille aux cris des brioches dodues qui me supplient de les emmener et prends juste une baguette aux céréales. Au 8 à Huit, deux boîtes de thon à l’huile d’olive. A la marchande d’olives, une barquette de tapenade verte dont je raffole – mais pas de caviar d’artichaut, soyons un peu raisonnable. Chez mon primeur, une barquette de fraises, des abricots dont le jus ressemble à du miel et des tomates grappe incroyablement parfumées dont je sniffe discrètement la tige comme une junkie. Puis je rebrousse chemin sans me presser. 
Et en passant près d’un petit groupe de trois personnes, j’entends soudain: « Non mais quand même, j’ai beau ne pas être… Il faut reconnaître qu’elle dit des choses très justes ». Une intuition; je ralentis et dévisage le trio. Gens d’âge mûr, chapeau de paille et robes à fleurs pastels pour les dames, lunettes bifocales et pantalon en lin beige un peu froissé pour le monsieur. Bien sous tous rapports. « Oui, et puis bon, le père était un peu… mais elle, elle passe mieux. Elle fait plus politiquement correct, quoi. » Bingo. Ils hochent tous les trois la tête d’un air entendu, ces gens qui n’osent même pas aller au bout de leurs idées et prononcer les mots qui fâchent. Et le petit goût de paradis de ce dimanche matin vire à l’aigre dans ma bouche. 

5 réflexions sur “Le ver dans le fruit”

  1. Comme je te comprend… Elle a fait 18%, il faut bien se dire qu'on a forcément autour de nous des gens qui ont voté pour elle et ses idées… Hélas!

  2. Aïe.
    Mais en dépit de ça ta description est un régal.
    Le sniff de tige de tomates ! j'ai le même réflexe qui remonte à loin : l'odeur des plants de tomates dans le jardin de mon oncle, j'avais 4-5 ans. Depuis, je sniffe.

  3. L@ure: mais que les gens qui vivent dans des banlieues à problème croit qu'elle peut apporter une solution, à la limite, je le comprends. Mais Monpatelin, quoi! Zéro insécurité, zéro criminalité, pas même l'ombre d'une femme voilée. C'est une commune hyper tranquille, avec des impôts locaux relativement bas pour la région. Du coup, c'est quoi leur souci à ces gens?

  4. Comme j'imagine la sensation… depuis peu, de nombreux parents à moi qui n'ont jamais eu de position ni de conscience politique se sont réveillés – allez savoir pourquoi maintenant (la crise, ma bonne dame?) – et leurs premiers pas en la matière sont nauséabonds… je suis dépitée.

  5. Armalite, je pourrais écrire ton commentaire à Laure. Ils ont peur de quoi, du JT ? Mais éteignez la télé les gens !

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