Comme si de rien n’était

Se lever après une nuit où on n’a pas pu fermer l’oeil entre la chaleur, les ronflements de Chouchou et les visions cauchemardesques qui tournent dans la tête. S’interroger: Thé des Alizés glacé, ou You Zi Hua Cha chaud? Ce sera You Zi Hua Cha.
Mais comment ça a pu dégénérer aussi vite en 4 mois?
Se connecter à internet. Jeter un coup d’oeil à sa boîte mail: rien d’important. Parcourir vite fait les articles dans son Google Reader. Se dire qu’il faudrait se mettre à utiliser ces fameux filtres « vieillissants » qui donnent du cachet à n’importe quelle photo banale. Rire brièvement d’un VDM.
Dès qu’il m’a parlé de métastases au poumon en septembre, j’ai eu l’intuition que c’était ça qui le tuerait. Pourvu, pourvu que je me sois trompée.
Consulter les statistiques de visite de la veille pour « Le rose et le noir ». Regarder le statut des potes sur Facebook. Récolter des fleurs, trouver des canetons, mettre de la bière en fût dans Farmville.
Je n’arrive pas à concevoir un monde sans lui.
Partir se doucher avec plein de produits qui sentent bon. Hésiter à se raser les jambes avec l’huile corporelle d’Avène comme conseillé par Julia. Reporter au lendemain matin puisqu’on ne sortira pas aujourd’hui.
A la limite, je peux accepter qu’il meure, mais l’idée qu’il souffre, qu’il suffoque sous respirateur artificiel pendant des semaines ou des mois m’affole complètement.
Jeter un coup d’oeil dans le frigo. Avaler un yaourt nature sans conviction. Se dire qu’il faudrait faire une liste pour les courses de lundi soir. Se souvenir que lundi c’est férié. Mardi soir, alors?
Essayons de ne pas être défaitiste. Attendons l’avis de l’oncologue. La chimio a sans doute une chance de fonctionner.
Ouvrir le fichier contenant le texte sur lequel on bosse, à côté du fichier dans lequel on tape sa trad. Se demander s’il vaut mieux tacler tout de suite le problème du glossaire ou remettre ça à plus tard.
Je le sens pas. C’est plus fort que moi, je le sens pas.
Tenter de se concentrer sur les manigances fomentées par le jeune alchimiste prisonnier d’un groupe de rebelles à qui il veut soutirer le secret de fabrication de gemmes télépathiques. Les explications de l’auteur sur la nature des objets magiques ne sont pas très claires.
Qu’est-ce que je peux faire, à part prévoir des séjours supplémentaires à Toulouse les mois prochains pour passer du temps avec lui? Rien. Fucking nothing.
Entamer le décompte. 24 ou 25 pages à traduire aujourd’hui, une ligne après l’autre. Pour manger un éléphant, il faut procéder bouchée par bouchée.
Papa.

10 réflexions sur “Comme si de rien n’était”

  1. C'est difficile de trouver des mots réconfortants… Courage à ta famille et toi, j'espère que le traitement fonctionnera.

  2. Je pense bien fort à toi et vais essayer de te faire rire ce week end, que ce festival te change les idées avec ses personnages déguisés hauts en couleur et ses délires et tous les amis qui seront là !
    Plein de bises et de chaleur.

  3. Je suis désolée pour toi, ton papa et toute ta famille. Même si je ne te connais pas, je pense bien fort à toi et t'envoie mon maigre soutien.

  4. Oh non Armalite… L'impuissance me cloue le bec mais mes pensées se joignent à toutes les autres, je pense fort à ton papa .

  5. Oh…
    Que dire face à ces mots, si ce n'est que je comprends tout à fait tes inquiétudes, pour être passée par les même… Mais là n'est pas le propos, ce qui est fait est fait, et le passé est la passé, même si subitement, il vient de me ressurgir en pleine face.
    Que te dire, vous dire à toi et ta famille, à part 'Courage' , que vous
    allez certainement entendre des dizaines de fois, lassés…
    Je pense bien fort à toi. Et quelque part, je croise mes petits doigts.

  6. Oui malheureusement, nous sommes nombreux à être passés par là. Parfois l'histoire s'est bien terminée, et parfois non…

    Merci à toutes pour vos gentils petits mots. Vous avez toujours l'air de vous excuser en les laissant, comme si c'était quelque chose d'insignifiant. Ca ne l'est pas. Que vous soyez de mes vieilles amies ou "juste" une commentatrice semi-régulière de ce blog, vos encouragements tissent un cocon de bienveillance qui me donnent de la force. Ce n'est jamais inutile; c'est toujours bienvenu.

  7. Dans ma famille, l'ennemi s'appelle SIDA et s'attaque à un oncle adoré depuis… 18 ans. ça m'a fait bizarre de compter et ça me fait bizarre de l'écrire.

    Je suis toujours surprise par un coup de fil qui annonce une mauvaise analyse ou une hospitalisation, je suis toujours en colère contre celui ou celle qui aurait pu, qui aurait dû (voir le problème de vertèbre, voir que tel infection redémarrait, comprendre qu'il ne pouvait pas, etc.), j'ai toujours peur, je me demande toujours si je suis au bon endroit, au bon moment ou si…

    Mais j'ai aussi appris qu'on pouvait passer le réveillon de Noël, puis du Nouvel an dans un service de réanimation à tenir la main de quelqu'un qui est en coma artificiel pour ne pas hurler de douleur et à propos de qui plus aucun médecin ne veut rien dire, puis s'engueuler avec lui en juin pour savoir par quelle grillade on commence le barbecue.
    Une ligne est une ligne, un jour est un jour.

    Je vous souhaite beaucoup d'engueulades.

    Bon courage.

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