Les 7 travaux d’Armalite – Jour 5: La Grande Inspection

Ce matin, je me suis rendue en bus chez ma dermato. Dont le cabinet est situé juste à côté du plus grand centre commercial de mon département. Et comme je m’étais gardé de la marge de peur d’être en retard, je me suis retrouvée avec une heure à tuer avant mon rendez-vous. C’est ainsi que j’ai fait l’emplette d’un ravissant petit pull Kookaï en cachemire rouge et d’un non moins ravissant et non moins rouge pendentif « téléphone » de chez Agatha. Une manière comme une autre de tuer le stress, que je me suis autorisée parce que je venais de récupérer un petit boulot supplémentaire qui allait mettre du beurre dans mes épinards de fin d’année. Je n’avais pas fait de shopping depuis Londres et j’avoue que ça m’a mise de bonne humeur.

Rendez-vous chez la dermato sans histoire. Je n’ai qu’un seul grain de beauté susceptible de mal tourner; au moindre changement d’apparence, je suis censée filer chez elle pour me le faire retirer, « et rassurez-vous: quand on agit très vite, le taux de guérison des mélanomes est quasiment de 100% ». Super, mais vous ne pourriez pas me le retirer à titre préventif? « Non, parce que je ne peux pas deviner jusqu’à quelle profondeur il va. » Je ne suis pas sûre de comprendre l’argument, mais je n’insiste pas.

Je reprends le bus pour rejoindre La-Grande-Ville-d’à-Côté. Etre Exquis n’est pas libre pour déjeuner; tant pis, je suis parfaitement capable d’aller manger toute seule dans mon salon de thé préféré pour peu qu’il reste de la place. En traversant la place du théâtre, par habitude, je balaie du regard les dizaines de tables de bar où de nombreux clients profitent du soleil magnifique et des pas loin de 20°. Et là, je crois reconnaître mon vieux pote Guillaume, avec qui je faisais du jeu de rôles quand j’avais 16 ans et qui, devenu avocat, s’est occupé du divorce de l’Homme en 2001. Non, je dois me tromper. Mais en face de lui est assis quelqu’un qui, avec son allure de dandy à la Daho, ressemble fort à mon pote François, avec qui je faisais aussi du jeu de rôles et qui a longtemps été inséparable de Guillaume avant que son boulot l’oblige à s’installer à Paris.

Je me dirige vers eux avec un grand sourire. Aussi surpris que moi, ils me demandent si j’ai le temps de boire un café avec eux. Ce sera plutôt un Coca light, mais oui, j’ai le temps, et en plus ça me fera plaisir. Nous restons ainsi une bonne heure à bavarder, et c’est comme s’il ne s’était pas passé une semaine depuis notre dernière rencontre. Guillaume n’a pas changé, toujours à provoquer ses interlocuteurs avec des propos atrocement fachos dont on ne sait jamais jusqu’à quel point ils expriment le fond de sa pensée. La différence, c’est que maintenant, je ne mords plus à l’hameçon. François est toujours du genre à beaucoup observer les gens en souriant et en n’intervenant que plus rarement. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup et avec qui je regrettais d’avoir perdu le contact. Nous nous quittons vers 14h en nous promettant de nous appeler pour tenter d’organiser un resto demain soir.

Cette rencontre et le temps magnifique m’ont mise de bonne humeur, mais il me reste encore pas mal de temps à tuer avant mon rendez-vous chez la gynéco. Je mange vite fait chez le traiteur chinois (en fin de compte) et traîne un bon moment dans les rayons de la Fnac voisine avant de me diriger à pied vers la clinique. J’arrive avec une heure d’avance. Et pendant que j’attends dans le couloir en lisant de vieux Paris-Match, l’angoisse commence à monter. J’ai les mains moites et un goût métallique dans la bouche. Non, non, non, pas question de faire une attaque de panique ici.

Mon tour venu, je rentre dans le bureau de la gynéco comme un automate. J’expose les symptômes qui m’amènent. Elle m’examine et me fait une échographie. Il en ressort que… apparemment, tout va bien. Mes douleurs sur la droite du bas-ventre peuvent être expliquées par le fait que mon utérus est dévié de ce côté, et mon ovaire plus ou moins collé contre. Rapport à la maladie de mon père, ma gynéco me conseille quand même de faire une colonoscopie un de ces quatre. Pour le reste, elle m’explique que le traitement que je prends cesse parfois de fonctionner pour des raisons inconnues (le corps sature, l’équilibre hormonal change avec l’âge…) et qu’il ne reste alors guère d’autres recours pour remédier à l’endométriose. Ah. Ca, je ne savais pas, et je ne suis pas rassurée de l’apprendre. Je lui demande si ça ne serait pas possible de me faire une hystérectomie totale, histoire de régler le problème une bonne fois pour toutes. Elle trouve que ça serait « prendre une massue pour se débarrasser d’une mouche ». Je ne crois pas qu’elle se rende compte à quel point la mouche en question me rend dingue. Mais elle avance que me retrouver ménopausée avec dix ou quinze ans d’avance présenterait plus d’inconvénients que d’avantages: risques d’ostéoporose et, sans doute, nécessité de prendre un traitement hormonal qui augmenterait les probabilités que je développe d’autres types de cancer. Comme résumerait poétiquement Chouchou: « C’est caca dur, caca mou ». (Il faut l’excuser, il est belge.)

Je ressors de là pas aussi soulagée que je l’espérais. Je n’ai rien pour le moment semble-t-il, mais la solution radicale que j’espérais mettre en oeuvre pour supprimer mes angoisses en même temps que leur source m’est refusée. Je fais confiance à ma gynéco si elle me dit que ça n’est pas une bonne idée; néanmoins, je réalise qu’il n’y aura pas de soulagement chirurgical et que je vais devoir apprendre à vivre avec mes peurs. A vivre vraiment, pas juste à survivre avec une boule dans la gorge tout le temps. L’époque où j’étais habitée par la certitude tranquille d’arriver en bonne santé jusqu’à 80 ans ou plus est à jamais révolue; elle a pris fin le jour de la mort de Brigitte. Je dois maintenant faire le deuil de cette naïveté sans doute irréaliste mais si confortable. Je sais qu’autour de moi, beaucoup de gens ont perdu des parents d’un cancer à caractère potentiellement héréditaire et doivent composer avec les mêmes craintes.

Mon amie Christine, par exemple, que je vais maintenant rejoindre à la bijouterie où elle travaille. Je la supplie depuis des années de démissionner pour se trouver plutôt un job dans une boulangerie, mais rien à faire. Aller la chercher est un supplice de Tantale dont je ressors rarement victorieuse. Son fils, que j’ai connu âgé de 5 ans et haut comme trois Golden, frôle désormais le mètre quatre-vingts et se balade en costard depuis qu’il est inscrit dans un lycée hôtelier. Comme si j’avais besoin d’un rappel supplémentaire que le temps file, rhalala! Nous allons dîner chez eux avec le mari de Christine et leur fille de 8 ans, adorable blondinette passionnée de dans, de chaussures et de chapeaux – mon héritière spirituelle, donc. Avec tous les événements qui se sont enchaînés ces derniers temps, nous n’avions pas passé de soirée ensemble depuis le mois de juin, et je savoure l’atmosphère de solide bonheur familial qui règne toujours dans leur maison.

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4 réflexions sur “Les 7 travaux d’Armalite – Jour 5: La Grande Inspection”

  1. Je ne suis pas sûre non plus de comprendre l'argument de ta dermato: je me suis fait retirer un très gros point de beauté sur le ventre préventivement… et sans aucun problème. Et il y a un autre qu'elle s'était proposée d'enlever mais je ne l'ai toujours pas. Je le surveille en attendant mais il ne bouge pas.

    Je n'y connais rien mais ta gynéco a sans doute en partie raison en disant que c'est une solution extrême… essaie peut-être d'avoir un deuxième avis à Bruxelles ?

    Gros bisous et à tout bientôt !

  2. Bonjour Armalite,

    Si tu veux les conseils d'un dermato sur Bruxelles, j'en connais un qui, au niveau contact, ne fais pas vraiment dans la dentelle mais dont l'efficacité est redoutable (c'est le genre à te demander, pendant que tu lui expliques pourquoi tu viens le consulter, si, pour ne pas perdre de temps, tu n’as pas un grain de beauté à te faire retirer !!!). Un de mes collègues a eu recours à ses services il y a quelques années, avec grand succès.
    Comment puis-je te communiquer ses coordonnées ?

    Sylvie

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