AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARGH!
L’autre jour, un des éditeurs pour lesquels je bosse annonce sur Facebook la sortie du tome 4 d’une série que j’adore mais qui, n’ayant pas connu le succès qu’elle méritait à mon humble avis, a été abandonnée l’espace de quelques années. Ca ne rate pas: dans les cinq minutes qui suivent, un sombre crétin commente: « Juin 2010, et ben c’est pas trop tôt! Sont longs les traducteurs! Quand on voit que la série en est déjà au tome 7 ou 8 aux USA… »
Il se trouve que le bouquin en question, je l’ai traduit il y a… 3 ou 4 ans (je ne me souviens même plus tellement c’est vieux). Et que j’aurais été ravie de combler le retard sur la publication américaine si on me l’avait demandé. Mais non: dans l’esprit des lecteurs, si ça traîne, c’est forcément la faute de ces fainéants de traducteurs qui sont tellement bien payés qu’ils peuvent se permettre de passer un an sur un livre de poche. Ca ne peut en aucun cas venir d’une décision éditoriale. Parce que bon, on le sait bien qu’une maison d’édition, c’est une oeuvre caritative qui n’a aucun impératif de rentabilité. Ni aucun autre bouquin à publier à côté.
J’ai l’impression que mes collègues et moi passons notre temps à jouer les boucs émissaires. Quand un bouquin en français est mauvais, qui accuse-t-on? L’auteur? Non. L’auteur est nécessairement un dieu de la littérature, puisqu’il a été publié. Si le traducteur se contente de coller à un texte original moyen, on lui reproche la médiocrité finale de la version française. S’il tente de l’améliorer, on s’offusque: pour qui se prend-il, à oser trahir la version originale?! Il n’est jamais qu’un traducteur, un de ces gratte-papiers qu’on soupçonne toujours de s’être rabattus sur cette occupation parce qu’ils n’ont pas réussi eux-mêmes à devenir écrivains.
Voilà pourquoi j’évite généralement de lire les critiques des bouquins que j’ai traduits. Et voilà pourquoi je ne devrais, probablement, pas être amie sur Facebook avec mes éditeurs.
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Ce que beaucoup de lecteurs oublient ou ignorent, c'est qu'un certain nombre d'auteurs anglo-saxons (pour ne citer qu'eux) ont été grandement améliorés par la traduction, comme Dick ou Van Voght par exemple et que de nombreux traducteurs s'échinent à rendre meilleurs et plus accessibles des textes médiocres sans jamais en être remerciés… On va finir par croire que la traduction est un sacerdoce 😉
Courage la belle !
Mea culpa, c'est vrai que ça m'est arrivé de reprocher au traducteur la piètre qualité d'un texte, sans penser que ça pouvait venir de l'original ; je ne le ferai plus 😉
Une question technique toutefois : qu'en est-il du choix du passé composé dans des récits traduits de l'américain (l'exemple qui me vient à l'esprit, c'est harlan coben, qui n'est certes pas un auteur d'une qualité littéraire exceptionnelle, mais dont le seul livre que j'ai essayé de lire m'est tombé des mains à cause de çà) : est-ce un choix du traducteur, ou bien cela correspond-il à une tournure particulière en anglais ?
Euh le passé composé existe en anglais: he had visited Paris last spring = il avait visité Paris au printemps précédent, par exemple.
Sinon, parfois cela relève en effet du choix du traducteur quand le passé simple ferait trop empesé, ou dans certains cas prévus par la grammaire française.
Euh, ben non, il avait visité, c'est du plus que parfait, et oui c'est cohérent dans un récit au passé simple (flash back); en revanche, le passé composé est théoriquement réservé à la parole des personnages 😉
Mais bon, la langue est faite pour évoluer, donc 😉
Courage 😉
Il y a aussi des gens qui se rendent tres bien compte de la qualité du boulot de traduction !!
Et la grande curieuse que je suis se demandait de quelle serie il était question ??
Tout comme il y a de bons auteurs et de moins bons auteurs, il y a sans doute de bons traducteurs et de moins bons traducteurs… Là, par exemple, je lis "Le samouraï virtuel" de Neal Stephenson mais je trouve que la traduction n'est pas adaptée, ne traduit pas tout à fait l'esprit, et pour pouvoir affirmer ceci, je dois dire que j'ai eu la version originale en main. Par contre, même auteur, le "Cryptonomicon" est très bien traduit par un autre traducteur… Heureusement, quand ce sont des auteurs anglo-saxons, je peux toujours me rabattre sur la v.o.
Oups, désolée, ce n'était peut-être pas tout à fait le sujet de ton billet…
Ce commentaire a été supprimé par son auteur.
Porteverte: autant pour moi, je me trompe parfois dans les dénominations grammaticales, mais j'applique instinctivement les règles en français. Et moi aussi ça m'agace quand on mélange des temps passés d'une manière illogique, j'en parlais il n'y a pas longtemps dans mon article sur le roman japonais "Les années douces".
De manière générale, avant de respecter à la lettre l'emploi des temps fait par l'auteur, je me préoccupe du fait que ce soit correct et que ça "sonne bien" en français. Si ça implique de changer un temps en un autre, je n'hésite pas. Les scènes de flashbacks dont tu parles sont souvent un casse-tête; normalement, pour bien les distinguer d'un récit par ailleurs fait au passé simple, elles doivent être rédigées au plus-que-parfait. Mais si le flashback se prolonge, ça peut parfois devenir lourd, et il faut alors choisir le bon moment pour basculer sur le passé simple… puis trouver un autre moyen d'indiquer, plus tard, que l'on sort du flashback si ce n'est pas évident.
La traduction n'est pas une science exacte et c'est vrai que souvent, c'est au traducteur d'estimer ce qui rendra le mieux en français – sachant que d'un traducteur à l'autre, voire d'un lecteur à l'autre, la notion de "mieux" varie grandement, et que dans de nombreux cas il n'existe pas de solution unique et incontestable.
Miss Sunalee: si si, c'est le sujet. Et c'est vrai que certains traducteurs sont moins bons que d'autres – comme dans tous les métiers – ou qu'ils peuvent parfois tomber sur des textes qui ne les inspirent pas et qui vont donc leur donner plus de mal. Je me souviens d'une série sur laquelle je me suis teeeeeeellement ennuyée que j'ai laissé deux ou trois horreurs dans ma trad. Je ne dis pas que nous sommes tous des dieux, juste que ça m'agace qu'on pense TOUJOURS que c'est notre faute quand quelque chose ne va pas. En général dans une chaîne de production les torts sont assez bien répartis entre les différents intervenants…
Merci pour ces explications, je trouve çà passionnant, et jusqu'à présent je n'avais jamais eu sous la main un spécialiste qui puisse me les donner 😉
Ah mais de rien, j'aime beaucoup mon boulot et c'est toujours un plaisir de parler de ses petits casse-tête quand je tombe sur quelqu'un que ça intéresse! 🙂
Cela dit il y a autant de manières de l'exercer que de personnes qui l'exercent… Je dirais quand même qu'on peut nous ranger en deux catégories: les traducteurs dont le souci premier est de rester fidèle à la VO, et ceux dont le souci premier est de faire un texte qui coule le mieux possible en français. Je fais partie de la deuxième catégorie, mais c'est vrai que parfois cela m'oblige à m'écarter un peu du texte de base et je conçois que cela puisse agacer certains puristes – même si je leur réponds généralement: "Puisque vous comprenez si bien l'anglais, ne vous embêtez donc pas avec ma version française!" 😛
La princesse: la série en question, c'est "Les seigne*rs des r*nes" de D!vid F!rl!nd (*=u, !=a), de lheroic fantasy méga-tragique qui déchire sa mémé ^^ Sérieusement, l'écriture est très belle et l'histoire poignante, je suis fan.
Ahaha, je pense avoir lu les deux premiers tomes en VO il y a super longtemps…Vu que j'ai presque tout oublié ;), je devrais y retourner et m'y replonger !!
Mais pour en revenir au sujet de la traduction, j'avoue avoir moi aussi grincé des dents sur la traduction d'une série de fantasy. Comme tu le disais, la traductrice s'est peut être vraiment ennuyée sur ces bouquins la !
( et sinon, j'aimerais beaucoup lire un billet sur ton boulot de temps en temps, je suis tres curieuse de savoir comment ça se passe pour un roman..)
Ca m'intrigue depuis longtemps ces histoires de traductions "fidèles" ou "pas fidèles" au style,à l'esprit de l'auteur.Je me suis souvent demandée si le traducteur traduisant un auteur qui écrit comme un pied devait,du coup, "respecter" le mauvais style etc…bon,en principe,oui.
Il y avait eu toute une polémique à propos de la traduction de Millenium qui est,paraît-il un "pur scandale"(je mets des guillemets car,quand je l'ai lu,je n'y ai vu que du feu,j'ai beaucoup aimé,j'ai bien contaté que le style était simple et efficace mais les erreurs de traduc ne m'ont pas sauté aux yeux,à moi,lectrice prophane!).Quand j'ai lu l'article,je me suis dit "ah oui quand même!" mais après,quand j'ai parcouru les réactions,j'ai pu voir que ce n'était pas si simple(en plus le traducteur suédois-français est celui qui dirige la collection Actes Noirs chez Actes Sud et décrocher un tel jackpot comme la trilogie Millenium a du provoquer quelques
jalousies!).
Enfin,traducteur-trice doit être un super boulot,si j'étais foutue de parler correctement une langue étrangère (sourire crispé),ça m'aurait plu.Mais bon.
http://bibliobs.nouvelobs.com/2008/04/17/les-bourdes-de-millenium
(A part ça,à propos de Cormac Mac carthy que cite Miss Sunalee,je viens de lire "la Route": AAARRRRG! chef d'oeuvre…mais faut pas être déprimé avant de la lire,attention!)
La princesse: j'aurais plein de choses à dire sur mon boulot, mais il me semble toujours que ça ne va intéresser personne, donc sauf anecdote particulièrement jouissive/rageante, en général je m'abstiens… Mais ça ne me dérangerait pas d'en parler davantage!
Miss Sunalee: Absolument, de la même façon qu'un auteur très bon dans son genre de littérature serait peut-être mauvais s'il s'essayait à un autre, un traducteur même compétent ne peut pas traduire bien tous les genres de livres. File-moi de la SF hard science et je fais un massacre: je n'y connais rien et ça me gonfle grave.
Anneso: Pour moi, Millenium est l'exemple type de la traduction mauvaise parce que collant beaucoup trop à l'original. J'ai lu la trilogie en grinçant des dents toutes les deux phrases et ça a gâché une bonne partie de mon plaisir.
Moi ça me plairai bien que tu en parles, j'avais lu avec plaisir un roman traduit avec beaucoup d'humour et de finesse d'Andrea Camilleri (italien très particulier et populaire), j'ai eu l'impression de le lire en VO, par contre le dernier que j'ai lu de lui était pas mal, mais il manquais le petit truc, je le cherche en VO d'ailleur.
Mais du coup je ne lirais jamais un David Weber traduit de ta main 😉 (ps si tu connais son traducteur, passe lui les félicitations de ma part)
Je trouve ça super intéressant quand tu nous cause de ton métier. Alors si d'aventure tu as envie de faire des notes sur le sujet, ne te prive surtout pas!
Ah moi aussi, je serais ravie de lire des billets sur ton métier !
Et j'avoue honteusement que moi aussi, j'ai déjà pensé pff, quel nul ce traducteur ! sans me dire que ça pouvait très bien venir de l'oeuvre originale…
Par contre, parfois, j'ai été bluffée de la qualité de bouquins tradruits, je pense notamment à Stepehn King…
Fraise des Bois: pour ce qui est de lire du David Weber traduit par moi, ça ne risque pas, je ne sais même pas qui est ce monsieur! ^^
Cécilé: et bien personnellement, comme je le disais plus haut, je considère que ça fait partie de mon boulot d'améliorer le texte original s'il est médiocre… mais 1/ tout le monde ne le voit pas de cet oeil 2/ mon intervention a des limites: si le scénario est naze, je ne vais pas le réécrire. Par contre, il m'arrive très souvent de relever de groooooosses incohérences que je prends l'initiative de corriger, partant du principe que si l'auteur ou un de ses correcteurs l'avaient vue, ils l'auraient sûrement fait en premier lieu.
Je compatis. 😉 Un truc qui a tendance à m'énerver, c'est quand des lecteurs qui connaissent la VO contestent le choix de certains termes en laissant sous-entendre que c'est parce que le traducteur ne s'est pas foulé, ou n'a pas compris toutes les subtilités, alors qu'il y a souvent un choix réfléchi derrière. Le problème de la traduction, c'est que c'est un exercice impossible à la base, vu les différences entre les langues. On essaie de limiter les pertes, mais il y en a forcément – et parfois, certains lecteurs focalisent sur ça, et pas sur ce qui a été correctement rendu.
Pour répondre sur Stephen King cité plus haut, c'est justement un des auteurs que je ne veux plus lire en VO tellement j'ai un souvenir moyen des traductions qui ne rendaient pas toute la saveur de son style, surtout des dialogues… Il faudra que je les relise pour me refaire un avis, si ça se trouve c'est un bête préjugé de ma part. 😉