Oh, j’ai une bonne excuse: hier soir, j’ai voulu aller admirer les lumières de Noël sur la Grand-Place; il faisait -5°, avec d’abominables courants d’air, et j’ai pris froid. Mais en vérité, je traînais les pieds pour y aller, et j’avais déjà plus ou moins décidé que ce rendez-vous serait le dernier.
La dernière fois que j’ai vu Mme Mapsy, c’était début novembre. Je devais y retourner à la fin du mois, et puis j’étais en pleine période de bouclage, vraiment débordée, et j’ai sauté sur ce prétexte pour annuler.
Je n’ai pas envie d’y retourner. J’ai l’impression de perdre mon temps. Contrairement à ce que je craignais avant d’entreprendre cette thérapie, raconter ma vie à une inconnue ne m’a pas foncièrement dérangée. C’était une professionnelle; elle savait écouter avec une neutralité bienveillante et poser les bonnes questions; je n’avais pas l’impression de m’épancher de manière insupportable. Mais je n’avais pas l’impression d’apprendre quoi que ce soit non plus.
La dernière séance, où elle m’a demandé de conjurer la scène des funérailles de Brigitte et de raconter ce que j’avais ressenti pendant qu’elle me tapotait les mains pour m’empêcher de trop « m’immerger » dans mes émotions m’a plongée dans une grande perplexité (et donné une vague envie de rire). J’avais beau y mettre toute la bonne volonté du monde, je ne ressentais rien, ou si peu. De la tristesse, bien sûr, parce que Brigitte me manque. Mais impossible de me replonger dans le chagrin hystérique que j’ai éprouvé ce vendredi de mars dernier. Et je ne crois pas que les cachets y soient pour grand-chose. Quand je me souviens d’un événement fort, qu’il ait été très joyeux ou très triste, je ne le revis pas. Je me rappelle des émotions qui ont été les miennes à ce moment, et il peut arriver que ça me fasse sourire ou que ça me serre le coeur. Mais ça s’arrête là.
Chouchou me dit que ce n’est pas normal, que je suis déconnectée de mes émotions, que j’ai dressé un mur entre mon intellect et mes sentiments. Très sincèrement, je n’en ai pas l’impression. C’est comme ça que je fonctionne, pour le meilleur ou pour le pire. Oui, il y a des fois où ça m’a desservie, mais souvent aussi, ça m’a permis de surmonter des choses très difficiles. Je n’ai pas l’intention de changer sur ce point si rien ne m’y oblige.
Or, rien ne m’y oblige pour le moment. En vérité, je me sens plus sereine que je ne l’ai jamais été de toute ma vie. Lorsque je lis ou entends quelque chose sur le cancer, bien sûr, ça m’angoisse un peu, mais pas plus qu’avant le décès de Brigitte. J’ai cessé de croire que j’étais malade ou que j’allais fatalement le devenir dans un futur proche. Cela pourrait être dû à la petite dose de cachets que je prends encore (un demi-Xanax par jour et un demi-Deroxat un jour sur deux), mais je ne pense pas. Nous verrons bien. Si je recommence à flipper quand j’aurai totalement arrêté les médocs, je reprendrai rendez-vous avec Mme Mapsy. Sinon, j’investirai plutôt mes sous dans de la shoe therapy 🙂
Je fonctionne un peu comme ça aussi. Je peux être très très touchée sur le moment, exprimer très fort mes émotions et ensuite, j'ai l'impression d'avoir "régler l'affaire".
Alors oui, j'y repense, ou je peux être émue, mais bon, je ne pleure pas pendant des semaines, etc… J'ai longtemps cru que je n'étais pas normal. Après tout, quand on perds quelqu'un de proche, on y pense longtemps, etc… Et puis, finalement, je me dis que chacun gère ses émotions comme il l'entends. En général, lorsque quelque chose me mine, je parle. J'en parle tout le temps, j'écris, bref, je l'expulse de cette manière et une fois qu'il est dehors, ben je n'y pense plus.
Tant que tu te sens bien ainsi, tu as raison de ne pas vouloir changer…. 😉 (Enfin, je ne suis pas psy non-plus, je peux me tromper…)
Et tu vas continuer à prendre ces médicaments sans aide médicale ? Et à les arrêter sans soutien médical non plus ?
Ben moi, ça me fait peur pour toi :-S
Ingrid: meuh non, j'ai un planning de diminution des doses et d'arrêt, et si ça ne va pas, je vois mon généraliste.
Si tu savais ce que je te comprends… Les chagrins comme ça, on se les prend en pleine gueule, et après, on vit dans une sorte de brouillard. La vraie difficulté, c'est d'en sortir un jour… Sans vouloir marcher sur les pieds de personne, ta psychothérapeute me fait un peu penser à la psychanalyse version Hollywood. Bref, je te soutiens entièrement : nous sommes seuls, fragiles et condamnés à disparaître. Vouloir voir les choses autrement, c'est transformer le monde en Disneyland, et je doute que ce soit souhaitable. En revanche, il y a l'amour, et là, on peut faire beaucoup de choses…
Mille baisers
Je ne me suis peut-être pas bien fait comprendre dans mon intervention précédente. Je soutiens de tout coeur Armalite parce qu'elle est dans le vrai. La réalité, c'est que ce qui est arrivé à Brigitte, et qui frappe chaque jour d'autres malheureux, est intolérable. La réalité, c'est que les obsèques furent un moment terrible où se mêlaient une sombre beauté, un désespoir total et, effectivement, un "chagrin hystérique". Ce moment restera gravé dans une poignée de mémoires, et je trouve risible (oui, encore une fois, c'est tout à fait ça) d'essayer de l'exorciser comme une espèce de scène originelle à trois balles. Pour quoi faire ? Permettre à l'héroïne de surmonter son traumatisme et d'épouser ensuite Cary Grant ?
J'espère de tout coeur que notre héroïne sera très longtemps heureuse avec son jeune premier bruxellois. Elle le mérite, parce qu'elle a su évoluer au fil des ans sur une multitude de plans, et cette démarche-là s'appelle tout simplement le courage. Mais pour ça, elle n'a pas besoin de numéros d'exorcisme soft comme celui qu'elle nous décrit.
Allez, ma grande, vive la shoe therapy !