Enervée

Celui de mes éditeurs pour lequel je bosse depuis le plus longtemps (soit une bonne douzaine d’années) vient de contester ma dernière facture en me demandant d’en établir une nouvelle d’un montant inférieur de 460 euros. Pour cela, il s’appuie sur un mode de comptage différent de celui qui avait toujours été utilisé jusque là, et bien entendu moins avantageux pour moi.

Je suis folle de colère, et pas seulement à cause du trou que cela représente dans mon budget mensuel. D’abord, je n’ai toujours pas touché l’acompte sur cette traduction rendue la semaine dernière, alors que ma facture est datée du 20 novembre et aurait dû être réglée sous quinzaine. Ensuite, je déteste qu’on me prenne pour une conne. Selon cet éditeur, mes feuillets calibrés pour compter 1500 signes pleins n’en feraient en réalité que 1380. J’ai fait un test en tapant n’importe quoi sans retour à la ligne: Word m’indique 1577 caractères espaces compris pour un feuillet complet. Réponse: « L’estimation manuelle est plus pertinente que le comptage informatique »! S’il m’avait avancé un argument du type: « La série ne se vend pas très bien » ou « Etant donnée la conjoncture, nous sommes soumis à des restrictions budgétaires », j’aurais pu l’accepter. A condition d’être prévenue AVANT la signature du contrat et pas mise devant le fait accompli. Pour les quatre tomes déjà parus de la même série, mes factures établies selon le mode de comptage habituel ont été réglées sans discussion… Enfin, même si je peux encaisser cette baisse, je ne trouve pas vraiment logique que ma rémunération diminue alors que le coût de la vie, lui, grimpe en flèche.

En gros, je ne suis pas tant en train de rouspéter pour les sous (qui représentent pourtant le budget du super week-end en amoureux planifié hier) que pour l’injustice de la situation. Mais qu’est-ce que je peux bien y faire? La formulation des contrats de cet éditeur mentionne juste: « X euros le feuillet de 1500 signes », sans préciser le mode de comptage (j’en connais au moins trois différents selon les maisons: le feuillet d’imprimerie, les 1500 signes réels et les 1500 signes estimés). Je n’ai aucun argument juridique sur lequel fonder une réclamation, et quand bien même j’en poserais une, cet éditeur déciderait tout simplement de ne plus bosser avec moi. Or, si je n’ai pas besoin du boulot qu’il me donne et me fait fort d’en trouver ailleurs (j’ai suffisamment de contacts dans le milieu et un planning bourré massacre pour les deux prochaines années), il se trouve que c’est le seul pour lequel je fais autre chose que de la fantasy et des bouquins énormes. J’ai besoin de la respiration que m’offrent ces petits romans contemporains au milieu des énormes pavés pleins de chevaliers, de magiciens ou de vampires que je traduis par ailleurs. Ce qui ne m’a pas empêchée de protester. Oh, avec diplomatie, certes. Mais le message était clair: « Je vais revoir ma facture à la baisse parce que vous êtes les plus forts; simplement, votre façon de procéder est malhonnête, et ne croyez pas que je ne m’en sois pas aperçue ». Je ne vois pas bien ce que je pouvais faire de plus.

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