Il est mort au printemps 1976.
C’est un infarctus qui l’a tué.
Il venait de prendre sa retraite d’ouvrier de l’arsenal.
Il avait à peine 59 ans.
Il était obèse.
[A cause de ça, mon père est super angoissé par son poids: à 58 kilos, il se trouve « gras comme un cochon », alors que ma mère affiche, pour une taille identique, un bon 75 kilos sur la balance. A cause de ça également, mon père a vu arriver ses 60 ans avec angoisse, comme si la fatalité pouvait lui interdire d’arriver à un âge que son propre père n’avait jamais atteint.]
Peu de temps avant sa mort , il m’avait emmenée au cinéma voir « Blanche-Neige ». J’avais été si odieuse que nous étions partis avant la fin.
Il avait constamment une casquette grise vissée sur la tête.
Ma grand-mère était sa seconde épouse.
Il avait divorcé de la première.
Sa mère était, paraît-il, une femme odieuse à qui il témoignait un dévouement aveugle. Elle habitait avec lui et a consciencieusement pourri la vie de ma grand-mère, exigeant par exemple, pendant la guerre, les rations de lait de celle-ci qui était alors enceinte de mon père.
J’ai cru comprendre qu’il était gentil et plutôt mou de caractère.
Que, peut-être, mon oncle n’était pas son fils.
C’est tout.
Mon nom de famille, celui dont j’ai refusé de changer en me mariant même s’il ne sonne pas très bien, me vient de lui. Tout comme le quart du sang qui coule dans mes veines. Pourtant, je ne sais presque rien de cet homme. Avait-il des frères et soeurs? Pourquoi a-t-il divorcé de sa première femme? Qu’aimait-il faire pendant son temps libre? Qu’ai-je hérité de lui?