La saga de mon stérilet – suite et fin (j’espère)

L’infirmière qui me descend au bloc s’appelle Stéphanie. Elle me fait penser à ma tante Jacquie: quinze ans de moins et blonde au lieu de rousse, mais même cheveux outrancièrement décolorés et en pétard, même bronzage orangé, même carrure de pioupiou, même voix éraillée de grosse consommatrice de Camel et même façon gouailleuse de parler. Aux pieds, elle porte des Crocs vert pâle, et je ne peux m’empêcher de penser à Junior qui, pendant tout le voyage aux USA, a hésité à en acheter des roses pour les mettre au travail. Elle a cinq piercings dans le cartilage des oreilles et un sur le côté de la lèvre supérieure. Quand elle me demande, comme une demi-douzaine d’autres personnes l’ont fait avant elle ou le feront jusque dans la salle d’opération, si j’ai bien enlevé mon vernis à ongles et mes bijoux, je ne lui laisse pas le temps de finir:
– Oui, et mon piercing aussi.
– Oh, vous en avez un où?
Sans répondre, je pousse sur l’intérieur de ma lèvre inférieure avec ma langue pour mettre mon labret en évidence. Elle hoche la tête d’un air entendu. Je ne précise pas que j’ai eu toutes les peines du monde à l’enlever ce matin avant de prendre ma douche à la Bétadine, et que je crains de ne pas pouvoir le remettre après l’opération: à quoi bon?
Pour compenser l’angoisse des hôpitaux que j’ai héritée de mon père, je joue les patientes modèles. Je dis poliment bonjour à tout le monde. Je souris beaucoup. Je ne me plains pas, même quand je grelotte de froid au bloc en attendant mon anesthésie. Je plaisante sur l’absence de glamour de ma situation. Je remercie pour chaque petit geste visant à améliorer mon confort. Je n’ai pas besoin de me forcer: tout le personnel est d’une exquise gentillesse, depuis l’infirmière en chef grisonnante jusqu’au jeune stagiaire empressé (il est, avec mon anesthésiste, le seul homme que j’aperçois dans le service).
La piqûre dans le dos de la main est désagréable mais brève, malgré la gêne qui subsistera jusqu’à ce qu’on m’enlève le cathéter. Loin de la brûlure dévorante de la dernière fois, le passage du liquide anesthésiant ne m’occasionne qu’un picotement intérieur. On ne me demande pas de compter à rebours: le produit a à peine atteint mon coude que je m’endors, masque à oxygène sur la figure, fesses au-dessus du vide, mollets et pieds calés dans d’étranges moon-boots de caoutchouc mousse.
Je me réveille une heure et demie plus tard. Vague mal au ventre, difficulté à reprendre mes esprits, bouche pâteuse parce que rien bu depuis la veille, mais à part ça tout va très bien. Vers 10h30, l’infirmière Stéphanie me remonte du bloc en pestant contre une de ses collègues qui tire la tronche et lui rend son bonjour du bout des lèvres lorsque nous la dépassons dans un couloir.
Je somnole encore une heure dans un box. Ma gynéco vient me voir et me demande comment ça va. Je lui dis que je ne souffre quasiment pas. Elle m’explique qu’elle m’a bien retiré mon stérilet, et qu’elle a également procédé à un curetage rapide car j’avais un polype dans le col de l’utérus. Encore un peu hébétée, je ne pense pas à lui demander si c’est une récurrence normale de mon endométriose ou une excroissance pré-cancéreuse, mais comme elle ne parle pas d’analyse et me conseille juste de revenir la voir dans trois mois pour faire un point sur mon traitement, j’imagine que ce n’est rien de grave.
– Si vous le désirez, on pourra alors envisager la pose d’un nouveau stérilet, achève-t-elle.
En plus d’être douce et rassurante, je constate que cette dame a beaucoup d’humour.
A 11h30, on m’apporte une collation: un yaourt à la fraise, une compote de pommes, des sablés Chamonix à l’orange qui ont pour moi le goût de l’enfance et une infâme gaufrette au chocolat-noisettes. Laitage, fibres, féculents – le service restauration respecte à la lettre les bases de la diététique.
Je bouquine un peu en attendant l’heure de ma sortie. Je termine le hors-série d’AnimeLand consacré aux shojô et le numéro d’août de Company que j’avais entamé hier dans l’avion. Après avoir eu la permission de me rhabiller et de passer en salle d’attente, je poursuis la lecture du roman de Stephen Clarke qui bien que d’une valeur littéraire quasi-nulle me force souvent à me retenir pour ne pas éclater de rire.
A 14h10, Etre Exquis passe me chercher. Nous nous arrêtons à la pharmacie et chez Champion où je fais quelques courses, puis il me ramène chez moi. Et s’étonne en voyant mon canapé lit déplié dans le salon:
– Qu’on fasse chambre à part quand on vit à deux, je peux comprendre; mais quand on vit seul…
Ah ah ah. J’explique que c’était pour ne pas avoir à négocier le raidissime escalier de ma mezzanine pendant que je suis encore à moitié dans le coltar.
– Ah. Bonne idée, convient-il.
Je suis une fille or-ga-ni-sée. Sur la table basse roulante, j’ai posé quatre ou cinq magazines féminins et la télécommande de mon lecteur de DVD. Assise en tailleur sur mon sac de couchage ouvert en deux, je mange un bami goreng avec des baguettes en regardant l’épisode 16 de Desperate Housewives S2. Puis je m’enfile Biba d’un trait. Pour un peu, je prendrais goût à ce concept de convalescence.
Mes parents ne m’ont pas appelée. Je suppose qu’ils ont encore oublié que je me faisais opérer aujourd’hui.
Je n’ai pas tenté de remettre mon piercing. Il symbolisait une certaine étape de ma vie, une phase transitoire qui se trouve justement terminée depuis ce week-end. La prochaine fois que je marquerai mon corps, ce sera de manière définitive avec un troisième tatouage.

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1 réflexion sur “La saga de mon stérilet – suite et fin (j’espère)”

  1. je suis contente que ça soit bien déroulé… J’adore l’ambiance du bloc, les inf’ ont toujours beaucoup d’humour… je suppose que ton stérilet est partie en vadrouille!!!
    Pour le polype, souvent c’est bénin, mais il faut néanmoins faire un recontrôle pour éviter de passer à côté d’un éventuel Papilloma virus qui peut aboutir sur un cancer de col… Donc, la prudence est de mise.
    Bon repos !

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