« And it’s taken you so long to find out you were wrong… »

Je n’arrive pas à me sortir son visage de la tête. Le profil à cause duquel je l’avais surnommé Lambert à l’époque de la pub pour la Micra. La cicatrice profonde qui barrait sa joue gauche, celle qui aurait défiguré quelqu’un d’autre et ne faisait que le rendre plus séduisant. Les cheveux qui dès qu’ils dépassaient un demi-centimètre de longueur commençaient à faire des épis indomptables sur le dessus. Le regard brun foncé pas très expressif et si souvent fermé les derniers temps. La bouche volontiers rieuse qui s’ouvrait sur des dents trompeusement bien plantées mais rongées par la plongée sous-marine. Le menton un rien pas assez fort; les sourcils châtain clair à la ligne trop faible, comme un reste d’enfance qui s’attarde sur la figure. Les traits que j’avais vus s’empâter au fil des ans et qui le faisaient ressembler chaque jour un peu plus à son père.
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Je n’arrive pas à me sortir son visage de la tête. Il m’assaille à tous les détours de mes journées, dans chaque méandre de mes rêves. Il est dans les pages de mes albums photo; il me suprend alors que je passe en revue les clichés que je garde dans la boîte à carreaux bleus et verts, ceux qui n’ont trouvé de place nulle part mais que je ne me résous pas à jeter parce qu’ils racontent quand même une histoire. Il surgit sans crier gare dans les lieux où nous avons vécu ensemble, où la passion flamboyante du début a insensiblement cédé la place à l’ennui et à l’incompréhension. Il continue à me hanter alors que je suis depuis longtemps convaincue qu’on a bien fait de se séparer, que je suis beaucoup plus heureuse sans lui.
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Je n’arrive pas à me sortir son visage de la tête. Parfois je me demande comment il aurait fallu s’y prendre pour que ça fonctionne, quels efforts supplémentaires j’aurais pu faire – moi qui ai, à tort ou à raison, l’impression de lui avoir déjà tellement donné. Je ne parviens pas à le détester; je le connais trop bien pour ne pas lui trouver des excuses, pour ne pas lui accorder l’indulgence à laquelle je suis naturellement si encline. Je sais tout le mal qu’il y a à savoir sur lui, et mon coeur se tord quand même à la vue de son image. Pas de sa personne physique. L’homme que j’ai (rarement) en face de moi ces jours-ci n’est plus celui que j’ai aimé; un an de vie non partagée l’en sépare, et le gouffre ne cesse de s’agrandir. Depuis ce matin de mai où j’ai dit que je partais et où il n’a rien fait pour me retenir, j’ai pris un autre chemin, un chemin sur lequel je vole plus que je ne marche. Je n’ai aucune envie de revenir en arrière.
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Pourtant je n’arrive pas à me sortir son visage de la tête. Le visage de quand on s’est rencontrés et que j’étais un des piliers du club d’aïki. Le visage de nos pérégrinations en Corse, en Italie, en Autriche et au Japon. Le visage des dîners entre amis sur la terrasse, enveloppés par le parfum entêtant du jasmin et baignés par la lumière faiblissante du couchant. Le visage de la naissance de sa filleule dont il est fou et qui le vénère. Le visage exultant penché au-dessus de sa dernière création culinaire qui embaumait toute la maison, ou concentré face à l’ordinateur quand il se battait contre Photoshop. Curieusement, je ne revois jamais le visage dur de nos rares disputes, d’une froideur et d’une tristesse infinies, ni le visage indifférent, au regard ailleurs, des derniers mois. Il faut croire que j’ai la mémoire sélective. Et en l’occurrence, ma capacité à ne retenir que les bons souvenirs ne me sert pas vraiment.

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1 réflexion sur “« And it’s taken you so long to find out you were wrong… »”

  1. Nostalgie sensorielle dissociée, avec un écart entre impression et expérience ?

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