J’y pensais depuis plusieurs semaines. J’avais envie d’un signe extérieur très visible pour symboliser que j’avais changé, que cette année 2006 avait fait de moi une autre personne. J’avais déjà deux tatouages: une licorne sur mon épaule gauche, faite pour mes 25 ans et censée représenter ma période jeux de rôles/mythologique celtique/mariage avec un Breton intégriste/recherche de connaissance + un kanji sur la hanche droite, fait vers 28 ans et censé représenter ma période arts martiaux/Japon/Pacs avec un self-proclaimed modern samouraï/recherche d’harmonie. Je voulais marquer dans ma chair le début d’une nouvelle ère de ma vie, dont tout ce que je sais pour le moment c’est qu’elle sera consacrée à la recherche de vérité – la mienne et celle des autres.
J’ai un peu repoussé le passage à l’acte sous prétexte de pas le temps. En réalité, je mourais de trouille comme chaque fois que je m’attends à souffrir physiquement. Cet après-midi, enfin, je me suis décidée. J’avais l’estomac noué et tout le corps baigné de sueur froide, même s’il paraît qu’extérieurement je suis restée très calme jusqu’au moment d’entrer dans la cabine avec la pierceuse. Elle était super craquante, un petit air de Shane dans « The L Word » mais en plus féminin et avec une voix très rassurante. N’empêche que. D’abord, elle m’a fait allonger – une position que je déteste car je m’y sens vulnérable. Ensuite, comme je lui demandais de m’expliquer la procédure en détail pour savoir ce qui se passait à défaut de pouvoir le contrôler, elle m’a dit qu’elle allait piercer à la main. Pas avec un pistolet à air comprimé où quand on sent la douleur, c’est déjà fini. Non, elle allait piquer manuellement, sans anesthésie locale of course, et ça prendrait plusieurs secondes. Là, franchement, j’ai été à deux doigts de m’enfuir comme la mauviette que je suis. Mais j’en avais vraiment envie, de ce piercing. Symboliquement et à plus d’un titre. J’ai vidé mes poumons et braqué mon regard sur le plafond. Elle s’est mise à préparer son aiguille en me donnant les consignes d’hygiène de rigueur. J’écoutais d’une oreille plus que distraite quand une bribe de phrase m’est parvenue aux oreilles:
– …Et pas de rapport bucco-bucal ni bucco-génital pendant quinze jours.
J’ai sursauté.
– Hein? Je peux ni embrasser ni sucer pendant deux semaines?
Ca l’a fait rire. Tant mieux pour elle; moi, je commençais sérieusement à regretter de m’être embarquée là-dedans. Pendant que j’hésitais, elle a pivoté vers moi avec son aiguille à la main. Trop tard pour reculer. J’ai fait le vide dans ma tête.
Morsure aigue dans la chair tendre à l’intérieur de ma lèvre. Sensation d’un corps étranger qui traverse et peine à ressortir de l’autre côté. Traction de la butée de la tige avant que l’aiguille se dégage en la laissant derrière elle. Brûlure qui se propage pendant que la fille appuie pour visser la boule au bout.
– Ca va?
– Oui, ça va.
Je me suis redressée et regardée dans le miroir. J’ai eu un sourire bêtement fier. Je me suis souvenue d’une citation de Roosevelt que j’avais traduite le matin même: « There is nothing to fear but fear itself ». Et je suis sortie de là en me sentant quasiment invincible.
J’ai déjà choisi le bijou définitif par lequel je remplacerai la petite boule dans un mois. Ce sera une pointe en titane noire au message éloquent: keep away from me.
Et tu as traéduit comment la citation de Roosevelt ?
merde tu l’as fait!
bon, je dois me résigner à ce que tu effraies mes gosses avec ta pointe en titane… re-merde alors tatie rock’n roll!!! les parents vont sûrement faire une jaunisse…
au fait, il était intégriste le breton ? une autre bonne raison de l’avoir largué (la meilleure à mon avis)
@ Baud: « Il n’y a rien à craindre sinon la peur elle-même ». Je sais, c’est pas optimal, on perd la répétition, mais sinon la phrase française est trop lourde.
@ soeur cadette: Les parents se feront une raison, je leur en ai fait voir d’autres…
Bienvenue dans le monde merveilleux du piercing.
Quel sera le prochain ?
J’aime les piercings de surface dans la nuque. Et, euh, le bout des seins 🙂
Je conseille les tétons à tout le monde 🙂 C’est joli et très agréable
Agréable après, je n’en doute pas. Pendant le piercing, j’ai comme un doute…
C’est pas top, effectivement, ca doit être dans les piercings les plus douloureux, mais la forte douleur est très brève. Petite sensation de brûlure quelques heures après, puis la semaine suivante, tu arracheras la tête de toute personne osant ne fut-ce qu’approcher de ta poitrine.
Après, paradise 😉