Blues post-écossais

Durant nos vacances, j’ai passé peu de temps sur internet: juste de quoi poster mes Instagram chaque soir et rédiger mes comptes-rendus sur le vif pour ne rien oublier. Je n’ai guère prêté attention à l’actualité, et inutile de dire que déconnecter ainsi m’a fait presque autant de bien que les paysages sublimes que nous traversions et les gens adorables que nous rencontrions. Ce fut certainement le voyage le plus peace and love de ma vie jusqu’ici. 

Le retour à la réalité a été d’autant plus rude. Si les nouvelles désespérantes se bousculent au portillon, je suis tout particulièrement effrayée par l’annonce de l’affaiblissement du Gulf Stream et choquée de voir la première puissance mondiale mettre des bébés en cage. Comme je ne peux concrètement pas grand-chose ni contre l’un ni contre l’autre, la drôle d’envie d’aller vivre sur une île qui m’a saisie lors de notre séjour à Skye s’en trouve encore renforcée. 
Ces dernières années, j’ai pris conscience de mes privilèges et décidé qu’ils me donnaient un devoir moral: celui de ne pas fermer les yeux, ne pas m’enfermer dans ma bulle en ignorant le sort des minorités, faire mon possible à ma petite échelle pour remédier aux injustices. Je culpabiliserais énormément de dire: « Je n’en peux plus de toutes ces horreurs, de toute cette anxiété, de tout ce stress; je pars m’installer dans un coin reculé, et que le reste du monde se débrouille comme il pourra. Moi, je me retire du jeu. » Je crois que j’y verrais une forme de lâcheté et de complaisance – je m’enfuis parce que j’ai la chance d’en avoir les moyens. 
Pourtant, à mon niveau individuel, je ne peux avoir qu’un impact dérisoire sur les grands problèmes actuels. Garder les yeux ouverts, rester au coeur des choses vaut-il la peine d’y sacrifier ma tranquillité d’esprit? Si on pose le problème sous la forme d’une analyse de coûts (pour moi) et de bénéfices (pour le reste du monde), sans doute pas. Mais la vie, c’est pas du contrôle de gestion. Au moins autant qu’un individu, je suis un membre de la race humaine. Je ne crois pas que j’arriverais à occulter cet aspect-là. Et j’ai beau retourner la question dans tous les sens, je ne vois pas comment me préserver tout en restant impliquée. Ce qui, ironiquement, est déjà en soi un pur problème de privilégiée. 
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