"Ce qui était perdu" (Catherine O'Flynn)

1984. Kate Meany est une petite fille hors du commun. Au lieu de fréquenter les enfants de son âge, elle joue les apprenties détective avec sa peluche dans les rues de Birmingham et les allées de Green Oaks, le tout nouveau centre commercial. Le reste du temps, elle s’amuse avec son seul ami, un jeune homme qui travaille dans un magasin du quartier, à scruter les clients et imaginer leurs troubles secrets. Jusqu’au jour où elle disparaît…
2003. Depuis des années, Kurt, agent de sécurité, contemple les masses somnambuliques venues tromper leur ennui ans l’immense centre commercial. Une nuit, il aperçoit l’image furtive d’une petite fille sur un écran de contrôle. Lisa, employée chez un disquaire, trouve quant à elle une peluche dans un couloir de service. Ensemble, ils se lancent à la recherche de la fillette. Dans les entrailles labyrinthiques de Green Oaks, ils vont tenter de retrouver ce qui était perdu: l’enfance, l’innocence, l’envie de vivre. 
Pendant les cent premières pages, je me suis passionnée pour les aventures urbaines de Kate Meany. Cette fillette solitaire, pas très chanceuse dans la vie mais attachante de par sa vocation précoce d’enquêteuse, me faisait penser à une petite Fantômette obstinée. Du coup, sans être vraiment léger, « Ce qui était perdu » remuait alors en moi une nostalgie de l’enfance dont je ne suis pourtant pas coutumière, et je trouvais sa lecture plutôt agréable.

Puis le roman a fait un bond de vingt ans dans le futur pour devenir une sorte de docu-fiction sur l’aliénation des temps modernes, ayant pour cadre les couloirs d’un gigantesque centre commercial où clients  et employés errent en traînant les pieds comme des zombies. Et j’ai commencé à le trouver très juste, mais aussi très plombant. Seules lueurs dans sa monotonie abrutissante: les apparitions qui louchaient du côté de l’histoire de fantôme.

Si j’ai beaucoup aimé les deux parties chacune pour ses propres mérites, j’ai du mal à considérer l’ensemble comme un tout cohérent. Surtout vers la fin, lorsque des fils oubliés depuis belle lurette se rattachent in extremis pour expliquer la disparition de Kate – même si celle-ci hante en filigrane toute la seconde moitié de l’histoire. J’ai conscience que la différence de ton est justement là pour exprimer d’une part l’innocence de l’enfance et d’autre part la désillusion de l’âge adulte, mais de mon point de vue, le contraste entre les deux est trop brutal. Malgré cela, le premier roman de Catherine O’Flynn m’a fait une très forte impression – assez pour que je jette un coup d’oeil à ce que l’auteure a écrit ensuite.

« D’après Adrian, quiconque demandait des bonbons citron-chocolat était un assassin: il les avait lui-même en horreur et pensait que personne ne pouvait à la fois vivre dans le respect des lois et aimer une combinaison aussi improbable. « Ces gens-là vivent en dehors des normes de la société, Kate. Leur boussole morale est devenue complètement folle. Ils n’ont plus de repères. » (…) Kate s’efforçait de fonder ses soupçons sur des éléments plus tangibles, mais elle-même ne pouvait s’empêcher de nourrir des doutes sur les mangeurs de chips aux crevettes. Ils s’accordaient pourtant sur le fait que dans l’ensemble, les acheteurs de Kit Kat étaient du côté des forces du bien. »

« Il y avait quelque chose dans l’atmosphère de Green Oaks qui rendait tout le monde accro à la fadeur artificielle et aux calories de la nourriture reconstituée. Certains de ses collègues y laissaient tellement d’argent qu’elle se demandait s’il ne serait pas plus simple pour eux d’être payés toutes les semaines en injections intraveineuses d’amidon modifié et de graisses hydrogénées. Elle imaginait sans trop de peine des employés élevés en batterie, sous perfusion, avant d’être flanqués derrière un comptoir, et Crawford se frottant les mains devant l’augmentation du rendement. »

Retour en haut