Après son divorce d’avec l’Homme, je l’apercevais souvent de loin, au rayon textile de l’Ikea où elle bossait. Elle avait beaucoup maigri et teint sa somptueuse chevelure en auburn. Elle était toujours aussi pâle, mais plusieurs piercings ornaient désormais son visage: un clou à l’arcade sourcilière, un anneau sur la lèvre inférieure. Je me souvenais de nos affinités réelles et souvent, j’avais envie d’aller lui présenter mes excuses. Consciente de la vanité et de l’égoïsme d’une telle démarche, je me retenais toujours. La dernière fois, j’ai vraiment failli m’approcher pour lui dire que l’Homme m’avait fait exactement la même chose qu’à elle – il me semblait qu’elle méritait de savourer cette minuscule victoire. Et puis je me suis demandé de quel droit j’allais remuer ces souvenirs pénibles tant d’années après.
Au final, la dernière fois où je lui aurai adressé la parole, ça aura été ce jour de juin 2000 où, après avoir renvoyé l’Homme chez eux en le traitant de monstre et en lui disant qu’on devait absolument arrêter de se voir, j’ai téléphoné à Martine pour savoir si ça allait mieux depuis la veille au soir et les confidences larmoyantes qu’elle m’avait faites – ignorant que la femme à qui son mari téléphonait tous les soirs en sortant son vieux caniche pour lequel il s’était subitement pris d’affection, c’était moi. Je me suis rarement sentie aussi minable que ce jour-là. La passion a pourtant été la plus forte; j’ai tenu moins d’une semaine avant de rappeler l’Homme et de reprendre notre liaison adultère. Avec les résultats désastreux que l’on sait.
Hier, j’ai appris par la copine d’un ami d’Etre Exquis, qui bossait elle aussi chez Ikea, que Martine était partie s’installer à Londres, où tout le reste de sa famille résidait déjà depuis quelques années. Elle aura 39 ans en décembre. Pour ce que j’en sais, elle ne s’est pas remariée et n’a pas d’enfants, alors qu’elle en voulait avec l’Homme. J’ai longtemps culpabilisé à l’idée d’avoir gâché tous ses plans et détruit sa vie. Aujourd’hui, je pense plutôt que l’échec de son mariage était inévitable, et que l’Homme aurait de toute façon fini par la tromper – avec moi ou une autre – parce qu’il était incapable de gérer sa forte personnalité et ses goûts marginaux. En découvrant qu’elle était, elle aussi, partie refaire sa vie dans une capitale européenne, j’ai songé que nos histoires auraient été le miroir l’une de l’autre jusqu’au bout.