La fille d’après

Elle vit dans ce qui a été mon décor pendant sept ans, au milieu des meubles que j’ai aidés à choisir. Elle dort comme un bébé malgré la canicule grâce à la clim que j’ai payée pour moitié, pendant que je suffoque toutes les nuits dans ma mezzanine sous les toits. Elle profite de la déco que j’ai faite, des heures que j’ai passées à traquer des objets japonisants alors que ce n’est pas du tout mon style. Ou bien elle déteste et se demande comment tout remplacer petit à petit. Elle a probablement vu les photos de mes vacances en Italie, en Autriche et au Japon, et à tous les coups elle s’est dit que j’étais petite, grosse et mal coiffée. Elle connaît certainement par coeur la liste de mes défauts, les manifestations de mon insupportable déprime hivernale – bref, tous les reproches que l’Homme avait à m’adresser et dont il s’est servi pour justifier le fait de me tromper avec elle. Elle a dû aussi entendre, souvent, que j’étais une des personnes les plus intelligentes et les plus cultivées que l’Homme connaissait, que j’avais un boulot génial et que je gagnais super bien ma vie; et elle l’a sûrement entendu quand il s’efforçait, mine de rien, de la faire se sentir inférieure pour prendre plus d’ascendant sur elle. Elle doit connaître les détails de ma vie sexuelle des sept dernières années mais tout ignorer des véritables raisons pour lesquelles les choses ont périclité entre l’Homme et moi à ce niveau (car ça m’étonnerait qu’il se soit vanté de n’avoir jamais réussi à me faire jouir). Elle doit, notamment, croire que j’étais une de ces rares femmes qui détestent les cunni – alors qu’en fait, je détestais juste ceux de l’Homme. A moins qu’elle soupçonne la vérité en lumière de sa propre expérience. Elle a dû entendre parler de mes problèmes d’endométriose, de mes rapports passionnels avec ma famille, des vacances avec mes amis parisiens pour lesquelles je délaissais l’Homme (il aura sûrement oublié de préciser que lui-même me délaissait pour ses stages d’aïkido, et que j’avais proposé de lui payer le voyage s’il voulait nous accompagner aux USA la première année). Elle marche dans mes pas et commettra sans doute les mêmes erreurs que moi.
D’elle, je sais juste qu’elle s’appelle S***, qu’elle a une fille d’une douzaine d’années et une Clio grise, et que c’est une élève de l’Homme. Depuis hier, je connais aussi sa tête. Elle a un gros nez, un bronzage exagéré et un faux blond à peine plus réussi que le mien dans le temps. Je me serais assez bien passée de la voir en photo, mais ça n’a suscité en moi aucune jalousie, aucune rancoeur. Que pourrais-je reprocher à cette fille? D’avoir les mêmes goûts et les mêmes méthodes que moi? Ce serait de la pure hypocrisie. La seule chose que j’éprouve pour elle, en fait, c’est une vague pitié. Elle sait presque tout sur mon passé, mais moi je peux prédire son avenir.

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